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mens de l’école florentine. Sous le rapport historique, c’est donc une composition très intéressante. Raphaël, lorsqu’il l’exécuta, ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans. Il commençait alors la décoration des chambres du Vatican, qui appartiennent à sa troisième et dernière manière. Si le tableau dont M. Reiset nous a rapporté l’esquisse à la plume n’a pas la grandeur de l’École d’Athènes, c’est pourtant une œuvre capitale ; car il marque, avec la Dispute du Saint-Sacrement, le passage de la seconde à la troisième manière. Quant au prix de ce dessin, bien qu’il puisse paraître fort élevé à ceux qui ne connaissent pas l’extrême rareté des dessins vraiment authentiques des grands maîtres d’Italie, si on le compare au prix du nouveau Pérugin, on est tenté de le trouver bien modeste. Il ne faut pas oublier que la collection de dessins confiée aux soins de M. Reiset, si riche d’ailleurs en morceaux de premier ordre, et dont l’origine ne peut être contestée, renferme de nombreux morceaux baptisés assez étourdiment. Je ne parle pas de plusieurs dessins donnés à Rubens, et qui, pour tous les hommes clairvoyans, sont évidemment l’œuvre de Bolswert. Je parle de Raphaël. Eh bien ! nous voyons dans la galerie du Louvre un dessin à la sépia du Portement de Croix connu vulgairement sous le nom de Spasimo, dessin qui reproduit le tableau peint par Raphaël pour un couvent de Palerme, et placé aujourd’hui dans le musée de Madrid. C’est une des compositions les plus populaires de l’école italienne. Gravée par Toschi, elle figure dans un grand nombre de cabinets. Or, cette sépia porte sur le catalogue le nom de Raphaël, et pourtant il n’y a pas un juge exercé qui puisse ajouter foi à cette désignation. Il n’est pas douteux que cette sépia ne soit l’œuvre d’un graveur. Les nombreuses cicatrices qui sillonnent ce dessin ne sauraient en changer l’origine. Si la composition appartient à Raphaël, le dessin n’est pas de sa main. Il suffit de le comparer aux dessins très authentiques revêtus du même nom, aux études à la sanguine faites pour la Farnésine, au croquis de la Psyché, à la Prédication de saint Paul, à la Calomnie d’Apelles. M. Reiset nous a rapporté un dessin précieux qui n’est pas seulement attribué à Raphaël, mais qui est bien de lui ; c’est un choix intelligent dont nous devons le remercier. La France n’a pas à regretter les 14,000 fr. donnés pour cette précieuse esquisse.

Le mérite capital de l’Évanouissement de la Vierge est, à mon avis, la conciliation de la douleur et de la beauté. Toutes les figures qui entourent le Christ expriment l’affliction la plus profonde, et chacune de ces figures est belle dans l’acception la plus vraie du mot. La douleur de la mère est d’un caractère sublime. Les saintes femmes qui tiennent le Christ entre leurs bras et qui s’apprêtent à l’ensevelir, dominées par le même sentiment, le traduisent avec des accens variés, sans que jamais l’énergie nuise à la beauté. C’est là, je le sais bien, c’est là précisément ce que l’école religieuse reproche à Raphaël. Ce qui me charme, ce que j’admire, est pour cette école un sujet d’accusation. Cet accord parfait et constant de l’expression et de la beauté, que tant d’artistes ont rêvé, et qu’un si petit nombre a réussi à réaliser, devient une preuve de paganisme. Il faudrait, selon les nouveaux docteurs, pour demeurer dans la vérité chrétienne, négliger résolûment le soin de la beauté. N’en déplaise à ces messieurs, je crois que Raphaël a très bien fait de poursuivre toute sa vie la conciliation de l’expression et de la beauté. Toutes ses œuvres sont empreintes d’un respect profond pour l’harmonie linéaire, et ce respect ne l’abandonne pas, même lorsqu’il traite les sujets où la douleur joue le premier rôle,