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organisa le mouvement électoral avec un tel succès, que le parti radical effrayé dut mettre en jeu tous les ressorts dont il pouvait disposer. On vit les membres du gouvernement monter sur les tréteaux des assemblées populaires pour plaider eux-mêmes leur cause ; rien ne fut négligé pour gagner surtout les communes catholiques. En même temps, des bruits sinistres étaient répandus pour effrayer cette partie de la population qui craint par-dessus tout les manifestations bruyantes de la rue. Huit jours avant l’élection, à propos d’un article publié par le Journal de Genève, on instruisit un procès de haute trahison, dans lequel le parti conservateur devait être gravement compromis. Enfin le 12 novembre, lorsque tous les électeurs du canton affluaient à la ville, le temple de Saint-Pierre, local consacré au scrutin, se trouva si bien encombré d’une foule compacte et résolue à empêcher la marche régulière des opérations électorales, que toute la journée se passa en rixes violentes auxquelles succédèrent, vers le soir, des scènes dignes du temps de la terreur. Les membres du comité conservateur eurent presque tous à subir de mauvais traitemens, et en particulier le docteur Baumgartner, le plus redoutable adversaire du régime radical, faillit être mis en pièces par des misérables qui, n’ayant pu s’emparer que de ses vêtemens, les brûlèrent sur la place publique, en dansant une ronde accompagnée des plus féroces imprécations. Cependant, au milieu de ce tumulte, malgré les violences et les irrégularités de toutes sortes protégées par le désordre, le conseil d’état ne fut réélu qu’à une majorité de 700 voix à peine sur un total d’environ 11,000 électeurs présens.

Le radicalisme, enhardi par ce triomphe si chèrement obtenu, ne garda plus de ménagemens. Des destitutions frappèrent tous les employés suspects d’opinions conservatrices ; on décréta la destruction des fortifications, l’agrandissement de la ville, la division de plusieurs communes rurales, afin d’agir d’une manière plus efficace sur le corps électoral et d’augmenter l’ascendant du pouvoir exécutif. Différentes mesures plus ou moins brutales ne tardèrent pas à dissiper tout-à-fait le prestige de modération dont M. Fazy s’était entouré d’abord. Bientôt il ne fut plus même possible de croire à son héroïque désintéressement, quand on le vit accepter le don de 200 toises de terrain (estimées 300,000 fr.) que le grand conseil lui vota sur la proposition de l’un de ses dévoués partisans. Les élections de 1850, pour le renouvellement intégral de ce corps, où les conservateurs ne purent obtenir un seul représentant, vinrent mettre le sceau à sa domination absolue. Désormais il n’y avait plus moyen de se faire illusion : c’était un dictateur que la constitution avait établi sous le nom de président, et qui aspirait à concentrer en lui seul toute la souveraineté populaire. Du reste, M. James Fazy ne s’en cachait pas dans son organe ordinaire ; cumulant les fonctions de journaliste avec celles de premier magistrat du canton de Genève, il continuait à se servir de sa plume exercée pour représenter comme des ennemis du pays les 4,500 citoyens qui lui refusaient leurs voix ; il les accusait ouvertement de tramer des complots ; puis, sommé de fournir des preuves et de les mettre en jugement, il déclarait qu’en l’absence de loi positive sur le prétendu délit dont ils s’étaient rendus coupables, on se bornerait à se passer de leur concours et à les tenir en état de suspicion. Cependant sous cet apparent dédain pour une opposition qui, malgré ses échecs successifs, persiste et refuse son appui, se cache un profond dépit de se trouver, après quatre