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la côte de Normandie, puis l’atterrage de Saint-Malo, et enfin la baie de Saint-Brieuc, comprise entre le cap Fréhel et les Héaux de Bréhat.

Du cap de La Hague au Mont-Saint-Michel, la côte court presque en ligne droite, sur une longueur de 126 kilomètres, du nord-nord-ouest au sud-sud-est. Elle est bordée par un chenal semé de dangers, dont l’île d’Aurigny, les Écrehoux, Jersey, l’archipel rocheux de Chausey, marquent la limite occidentale. Dans ce chenal, les marées marchent parallèlement à la côte du sud au nord par le flot, du nord au sud par le jusant ; les courans y sont, à certaines heures, d’une étonnante rapidité, et quand les vents, très capricieux dans ces parages, soufflent en sens inverse, la mer devient affreuse, et les lames, hautes et courtes, impriment aux navires des saccades d’une violence inouie. Les vents d’est à leur tour, tombant par rafales du haut de terres élevées, entretiennent le long de la côte une agitation redoutable et poussent les navires sur les écueils dont le chenal est bordé. Au sud, on est affalé sur les longues grèves de la baie du Mont-Saint-Michel. Tous les périls dont la mer, la terre et les vents peuvent environner le navigateur sont ici réunis.

La France ne possède pas de territoire plus riche et plus riant que celui que baigne cette mer dangereuse. Constamment incité par la tiède humidité des vents d’ouest, il est doué d’une force de production qui se manifeste aussi bien par la puissance des races qui s’y nourrissent que par le luxe de la végétation. Tout ce qui vit sur le sol de la Normandie lui emprunte un caractère de vigueur, et Homère aurait parlé de cette côte comme de l’Argolide et de l’Achaïe : elle est aussi la terre des chevaux et des belles[1].

Cette région fait depuis long-temps en Angleterre des exportations de denrées qui s’accroissent de jour en jour, grace aux réformes économiques de sir Robert Peel. S’il est permis de s’étonner de la haute témérité avec laquelle les bases de la subsistance d’une grande nation ont été déplacées, il ne l’est pas, d’oublier que sir Robert Peel n’accomplissait cette révolution qu’après avoir mis ses adversaires en demeure de pourvoir par d’autres moyens aux besoins impérieux de populations ouvrières, auxquelles la fortune et peut-être le malheur du royaume-uni ont fait prendre un développement disproportionné avec ses ressources agricoles. Sir Robert Peel avouait d’ailleurs avec une sorte d’orgueil qu’il prétendait doter son pays, par la subsistance à bon marché, de la seule arme qui lui manquât pour faire la conquête du monde commerçant.

  1. note en grec. ?