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la race bretonne ne cessait point de nourrir le culte des souvenirs, de se défendre, du moins dans ses mœurs, de parler sa vieille langue, d’avoir ses chanteurs et ses joueurs de harpe, qui lui racontaient le passé, même quand ces invocations au passé étaient un acte de révolte. Les bardes, il est vrai, n’avaient plus leur place marquée dans les cours, dans les assemblées des princes, mais ils avaient les fêtes populaires et l’escabeau de bois dans le foyer du pauvre, où ils répétaient mystérieusement les chants de leurs ancêtres. Le nom du dernier barde que l’histoire mentionne n’est point rapporté : c’était un pauvre vieillard aveugle du pays de Galles, qui, sous Henri VIII, pendant les persécutions des catholiques, parut sur le seuil du palais de Windsor, récitant ces vers de Taliesin : « Je veux apprendre à votre roi ce qui doit lui arriver ; une créature extraordinaire va sortir du marais du Rianez ; elle punira l’iniquité de Maelgoun, roi de Gwéned, dont les cheveux, les dents, les yeux deviendront jaunes comme de l’or ; elle donnera la mort à Maelgoun, roi de Gwéned. » Le vieux barde fut écartelé.

Peu à peu les poésies bardiques allaient ainsi s’enfouir dans le secret des bibliothèques galloises ou tombaient dans le domaine populaire, devenant le trésor de chanteurs obscurs et inconnus qui se les transmettaient de génération en génération. Ce n’est qu’au commencement de ce siècle qu’elles ont été sérieusement recueillies. L’homme à qui on les doit était un pauvre paysan de la vallée de Myvyr, qui avait puisé avec le lait le culte des traditions de son pays. Owen Jones réalisa une entreprise singulière : il chercha et réussit à s’enrichir, afin de pouvoir élever un monument à la poésie celtique. De là la publication connue sous le nom de Myvyrian Archaiology of Wales. L’Archéologie galloise d’Owen Jones a été le point de départ des restaurations contemporaines des poèmes bardiques. Aujourd’hui encore, sous l’empire d’un sentiment de race très vivant, un certain mouvement de littérature galloise originale cherche de temps à autre à se faire jour en Angleterre, de même que M. de La Villemarqué, dans une autre œuvre, pouvait reproduire des chants populaires récens dus aux Bretons français de Tréguier ou de Léon. Il y a quelques années seulement, on a vu les deux branches de la même race se réunir dans une fête, en plein pays de Galles, pour répéter ensemble dans la langue nationale le refrain breton : « Non, Arthur n’est pas mort !… » Merveilleux témoignage de la puissance d’un instinct viril de nationalité qui ne peut plus aujourd’hui tourner qu’au bien commun, à la gloire commune, en ajoutant aux élémens des civilisations nouvelles la force survivante du sentiment traditionnel !

Et maintenant jetez les yeux vers le Midi. Là vit cet autre poète qui a su rajeunir admirablement une autre de ces langues vaincues, qui l’a prise dans le peuple pour la plier aux plus délicats comme aux plus