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sur l’Océan, on chercherait en vain un sentier, une route tracée. À part quelques sillons, quelques coulées de bêtes fauves, aucun chemin battu ne divise les masses des érables et des frênes que dominent çà et là les hautes cimes des palmiers. Le seul bruit qui annonce la présence de l’homme dans ces grands bois est celui de quelque chariot dont les roues sifflent et crient au loin sous l’effort d’un attelage de bœufs haletans. De rares clairières voient s’élever quelques cabanes, tantôt isolées, tantôt groupées en hameaux. La classe d’hommes ainsi plongée au sein d’une nature vierge mène une vie de luttes et d’aventures qui la familiarise de bonne heure avec le péril. Abandonnant la lisière du bois à des populations plus patientes et plus paisibles, les hommes de la forêt n’ont guère de rapports avec les hommes de la plaine. Ce sont d’ordinaire des natures violentes, qui fuient la contrainte des lois et le séjour des villes. Aussi les chasseurs mexicains ne sortent-ils de leurs retraites que pour vendre les peaux des chevreuils dont la chair les nourrit, ou pour échanger contre une prime la dépouille des jaguars qu’ils ont tués. Outre des malfaiteurs en querelle avec la justice, les forêts mexicaines recèlent aussi, bien qu’en plus petit nombre, de vieux débris des guerres de l’indépendance, des partisans échappés aux luttes révolutionnaires, et qui cherchent dans la chasse un dédommagement aux émotions perdues de la guerre. Tels étaient les hommes au milieu desquels j’allais passer une nuit avant d’atteindre San-Blas. On comprend qu’au moment de pénétrer sur cette terre promise de la bohème mexicaine, je me félicitai du hasard qui me donnait pour compagnon, dans cette traversée périlleuse, un vieux capitaine de guerrillas, certain de rencontrer partout des amis, sous le chaume des jacales, comme sous le toit des ventas, dans les sentiers des forêts vierges comme sur les grandes routes.

D’abord vivement éclairés par les rayons du soleil couchant, puis assombris par le crépuscule, les bois se rapprochaient de nous, mais insensiblement, et nous avions hâte d’atteindre ces fraîches retraites que les détours obligés du chemin reculaient sans cesse en dépit de nos efforts. Nous étions entrés dans la zone brûlante qui rayonne autour de San-Blas, et le ciel, que venait d’empourprer le soleil couchant, était déjà blanchi par la lune quand nous atteignîmes enfin la région boisée sur la lisière de laquelle nous devions rencontrer le pueblo de Palos-Mulatos.

— Encore quelques pas et nous arrivons ? me cria le capitaine. Et je lançai mon cheval avec joie au milieu d’une vaste prairie. Nous l’avions à peine franchie, qu’un ruisseau assez large nous força d’arrêter nos chevaux. Sur l’autre bord du ruisseau s’élevaient quelques cap bancs qui laissaient échapper à travers les nombreux interstices de leur cloison de bambous les rougeâtres clartés des foyers intérieurs.