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fêtait le réveil par une marche de guerre. Tous furent bientôt debout, les tentes abattues, les mulets chargés ; en un clin d’œil, la ville de toile avait disparu. Le trompette de l’état-major sonna alors la marche, les clairons de tous les corps la répétèrent ; les régimens prirent les positions assignées, les colonnes toutes formées étaient prêtes à se déployer lorsque le moment serait venu.

— J’ai vu ce matin en me levant un chacal, et deux corbeaux à ma droite, en me mettant en route, me disait un guide kabyle ; la journée sera heureuse. — Qu’il soit fait selon ton dire ! lui répondis-je, et toute mon attention se porta bientôt sur le mouvement des troupes qui se dessinaient. Nous arrivions aux premières pentes de la montagne de Menazel. Pour ceux qui faisaient partie de la colonne du centre, le coup d’œil était plein d’intérêt. À notre approche, le bourdonnement lointain de l’ennemi avait cessé ; puis tout à coup de ces roches, de ces ravins, de ces bois, sortent des cris, des rugissemens de bêtes fauves ; les Kabyles se glissent entre les broussailles ; habiles à l’embuscade, habiles à la retraite, ils rampent le long des terres pour joindre l’ennemi de plus près, tirer leur fusil à bout portant, puis bondissent, afin d’éviter la balle qui répond à leurs coups. Peu à peu le nuage de poudre se forme, l’ivresse monte à leur tête, et pour celui qui ne s’est jamais trouvé à pareille bagarre, leur vue seule alors est un effroi. Il n’y a plus là des hommes, ce sont des animaux déchaînés. Les têtes de colonne s’inquiètent peu de ce bruit ; les oreilles des soldats y sont endurcies depuis long-temps. À droite, les zouaves et les chasseurs d’Orléans, les Loupes de Zaatcha : — le général Bosquet les guide et leur communique son énergique sang-froid. Une balle brise son épaulette, déchire son épaule, il est toujours à leur tête. — En avant ? crie-t-il ; la charge bat ; pas un coup de fusil, on perdrait du temps ; en haut, à bout portant, la revanche sera prise. — Zouaves et chasseurs escaladent les broussailles. À la colonne de gauche, pendant ce temps, le 20e de ligne, commandé par le colonel Marulaz, gravit les pentes en régiment qui se souvient de sa gloire d’Italie. Les obusiers suivent, et au plateau d’un village, Bou-Renan, ses cavaliers et 80 chevaux réguliers joignent, avec le commandant Fornier, les Kabyles, qu’ils percent de leurs sabres. Le commandant Valicon tombe mortellement blessé à la tête des soldats, pendant que les turcos du commandant Bataille soutiennent l’héroïque tradition de valeur de la milice des beys. La mêlée fut rude en cet endroit ; la longueur du fusil séparait souvent seule les combattans, et la redoutable épée kabyle, la flissa, fit plus d’une blessure. M. de Vandermissen, officier belge, donna là des preuves d’une brillante et imprudente valeur en se laissant entraîner à la poursuite de l’ennemi. Au centre, le colonel Espinasse poussait vivement la charge, tandis que le général Saint-Arnaud embrassait tous