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n’ont assisté à des événemens aussi prodigieux ; jamais le courant qui nous entraîne n’a été plus irrésistible, plus rapide, plus extraordinaire ; il faut être aveugle pour ne le pas voir, et à ceux qui dorment, en croyant à l’apathie du XIXe siècle, on peut promettre au réveil un terrible vertige.

Et maintenant que nous avons vu comment l’Occident se réveille, comment les nouveaux mondes sortis du chaos se sont fondus dans le creuset de la civilisation européenne, allons en Asie, retournons au berceau du genre humain. Sur cette vieille terre de la tradition, nous allons rencontrer un spectacle tout différent. Là-bas, c’était la passion effrénée du progrès ; ici, c’est la résistance absolue à toute innovation, et, contradiction bizarre, le résultat est également merveilleux. L’exposition nous permet de faire en quelques pas la comparaison, et jamais rapprochement ne fut plus fécond à la fois en enseignemens, en incertitudes, en mystères. Quand on pénètre dans le Palais de Cristal, les premiers produits que l’on entrevoit sont ceux de l’Inde, de la Chine, de la Turquie, de la Perse et de Tunis, s’il est permis de comprendre la régence dans les pays orientaux. Le philosophe, aussi bien que l’homme du monde, peut rester tout un jour en contemplation devant les chefs-d’œuvre venus de ces pays, du soleil. On sent de prime-abord que l’on est là dans une terre exceptionnelle, où rien ne rappelle ce qui vous entoure, et qu’on dirait tombée du ciel sur ce globe boueux où nous vivons. Quand on se trouve dans cette exposition indienne surtout, au milieu de ces châles d’une finesse fabuleuse, d’un prix plus fabuleux encore, de ces voiles si légers qu’on les dirait d’air tramé, de ces tissus d’argent et de soie, d’or et de perles, auprès desquels l’habit de Bassompierre eût semblé de la serge, on se frotte les yeux ; mais ce n’est point un rêve. Ces étoffes invraisemblables, ces armes d’une richesse impossible, d’une élégance sans pareille, ces harnachemens d’or et de rubis, ces vêtemens brodés de diamans qui valent tout un de nos royaumes européens, ces palanquins semés d’émeraudes, tout cela ne vient pas du paradis ; les séraphins n’y sont pour rien, et ce sont des hommes, bien réellement des hommes, qui ont créé ces merveilles. Il est vrai que ces hommes qui résistent à notre civilisation, nous les suspectons de barbarie, et dans notre inconcevable orgueil nous sommes près de les appeler des sauvages. Comment ! elles seraient sauvages ces populations mal connues, plus mal comprises, dont les œuvres ont un tel cachet de distinction exquise et de richesse éblouissante ! Comment ! dans un coin de ce globe, des régions existent où des bergers, assis devant leurs chaumières, sans autres instrumens que leurs mains et leurs pieds, tissent ou brodent en chantant des châles, des écharpes ou des tapis dont la beauté nous confond d’admiration ! Pour les imiter, l’Europe savante s’ingénie, elle crée des machines étonnantes de