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et que nous admirons, bien qu’il nous méprise, dont nous ne savons rien, sinon des prodiges, et dont rien ne nous arrive, sinon des chefs-d’œuvre ? Je sais bien qu’en regardant les paravens, nous affectons de le tourner en ridicule, ce peuple de sages ; mais comme il s’inquiète peu de nos railleries ! comme il prospère en paix pendant que la fièvre nous ronge ! comme il s’affermit sur sa base inébranlable sans entendre le bruit lointain de nos cataclysmes ! L’exposition chinoise cependant n’est pas digne de l’empire du milieu, il faut en convenir. La Chine boude l’Angleterre, et elle a ses raisons pour cela ; on dit même qu’elle n’a rien envoyé au Palais de Cristal, et que les rares produits qui s’y sont glissés sous son nom y figurent à son insu et ont été ramassés çà et là dans les boutiques de Londres par précaution diplomatique. Il ne fallait pas que la Chine, par son absence, rappelât trop vivement cette invasion peu glorieuse et peu morale du pavillon britannique à Canton. Nous avons ri de cette guerre monstrueuse ; nous nous sommes moqués de ces naïfs soldats qui croyaient avoir raison des Anglais en opposant à leurs canons des figures terribles en papier peint. Nous avons eu tort. De quel côté étaient donc les barbares ? Quel parti suivait la loi naturelle et combattait pour le bon droit ? L’Angleterre, ce jour-là, où avait-elle caché sa noble devise ? L’armée chinoise était risible, oui, mais c’est un honneur pour le Céleste-Empire. Ce peuple est-il donc assez primitif, assez peu civilisé pour songer à la guerre, pour rêver aux moyens de s’entr’égorger au meilleur compte possible, pour perdre son temps à fourbir ses armes comme les hordes sauvages des premiers siècles ? Ils ont mieux à faire, et il y a des milliers d’années que le congrès de la paix a terminé son œuvre à Pékin. Comme ces gens, s’ils s’occupent de nos affaires, doivent nous prendre en pitié ! Et vraiment, je crois qu’ils ne s’en font pas faute. Dans l’exposition chinoise à Londres, un jeune Chinois est assis au milieu de ses porcelaines et de ses marqueteries. Sans s’étonner, souriant d’un air railleur, il regarde le mouvement qui se fait autour de lui. C’est un homme de vingt ans, vêtu de soie et rasé suivant la mode de son pays. Jamais œil plus fin n’éclaira une physionomie plus moqueuse. Je ne pouvais pas le regarder sans un certain embarras ; son dédain me gênait, et pourtant j’allais le voir sans cesse. « Eh quoi ! me disais-je en le considérant des pieds à la tête, cet homme rit même du Palais de Cristal ? Qu’a-t-il vu de si prodigieux dans son pays pour qu’une merveille si étonnante, selon nous, n’excite dans son esprit aucune surprise ? Sommes-nous donc tout-à-fait des crétins, nous qui crions au miracle en face de l’un des efforts les plus extraordinaires de notre civilisation, tandis que ce Chinois semble nous trouver profondément ridicules ? » Dans ce moment en effet, ce jeune homme, surpris sans doute de l’attention avec laquelle je l’examinais, me riait au nez de la