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un milieu convenable pour son développement légitime. « Il m’est bien évident, écrit-il, que le seul bon gouvernement est celui sous lequel l’homme trouve le plus de moyens de perfectionner sa nature intellectuelle et morale et de remplir le mieux sa destination sur la terre[1]. » Dans cette destination, il ne faisait pas entrer l’idée de l’exercice des droits politiques. Un homme, à ses yeux, pouvait être un homme complet sans avoir à déposer son suffrage dans l’urne électorale. Il.considérait l’état politique non comme un but à atteindre, mais comme un simple moyen pour atteindre le vrai but : le bien véritable de chacun des membres du corps social. Que demander dès-lors à l’état politique d’une nation ? Non pas d’être conforme à tel ou tel système, mais de fournir à chaque citoyen la garantie de ses intérêts de toute nature : l’ordre qui assure le repos.

Le repos réclamé par les intérêts matériels des peuples est réclamé encore par des intérêts d’une nature plus élevée. Dans les temps de crise, l’ordre politique, qui ne doit jamais être qu’un moyen, devient un but. Influer, parvenir, est alors le mobile universel ; chacun s’absorbe dans une action purement extérieure, et, au sein de préoccupations passionnées, oublie les intérêts de son développement intérieur, les seuls véritables. Les événemens du jour font oublier le monde invisible. Ces dangers, qui sont la condition habituelle des hommes d’état, se généralisent et atteignent toutes les classes de la société, lorsque la préoccupation politique devient universelle. C’est donc en se plaçant au point de vue le plus élevé qu’on peut dire que « le repos est le plus grand besoin de la société. » Ce repos, comment y parvenir ? Ce n’est pas, répond Maine de Biran, à la souveraineté du peuple qu’il faut le demander. Sans parler de ces exemples odieux qui n’établissent que trop que la souveraineté du peuple est souvent le manteau dont se recouvre un despotisme abject, comment chercher une base fixe pour l’ordre social dans les impressions fugitives, dans les caprices de la foule ? « La souveraineté du peuple correspond en politique à la suprématie des sensations et des passions dans la philosophie et la morale[2]. » Le repos de la société, qu’on ne peut attendre de la souveraineté du peuple, il ne faut pas l’attendre non plus du règne de la force matérielle, du despotisme d’un seul. Le despotisme n’est le repos qu’en apparence, la contrainte n’est pas le calme ; et, comme le but dernier de l’ordre social est la protection du libre développement de chacun, un gouvernement qui ne maintient une paix extérieure que par la destruction violente de toute liberté individuelle manque par cela même au premier but de son institution. Il faut donc trouver une voie moyenne entre la souveraineté du peuple et le despotisme, qui

  1. Journal intime, 12 juillet 1818.
  2. Ibid., 30 janvier 1821.