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des deux factions entre lesquelles le pays se divise ; née de la lutte des partis, elle les représente. L’assemblée gouverne-t-elle au gré d’une majorité changeante, le pays est condamné à passer tour à tour de la domination d’un parti à la tyrannie d’un autre. La force médiatrice doit venir du dehors et de plus haut ; c’est dans le monarque seul qu’elle peut résider. « On aurait tout accordé au roi, on aurait subi sa loi telle quelle, mais la domination d’une majorité d’assemblée froisse, irrite tous les amours-propres ; on ne consent pas à céder à ses égaux. Pour terminer la révolution, il ne fallait pas d’assemblée délibérante, mais un pouvoir dictatorial qui aurait uni à la bonté, à la clémence, beaucoup d’énergie et de fermeté. Nous sommes encore dans l’ornière révolutionnaire[1]. »

Il fallait donc que le monarque fût puissant, et, pour être puissant, il fallait qu’il fût libre. Il ne devait pas subir le joug des amis de la monarchie plutôt que celui des hommes qui pouvaient regretter la république. Sa cause enfin devait être nettement séparée de la cause à jamais perdue de l’ancien régime et des privilèges de la noblesse. Ce n’est qu’à ce prix qu’il pouvait être accepté de tous comme le médiateur nécessaire entre les partis.

En siégeant successivement dans deux parties opposées de la chambre, M. de Biran ne cessa pas, on le voit, d’obéir à la même conviction. Il avait accueilli la première restauration comme une délivrance inespérée ; il ne tarda pas à se trouver en désaccord avec les implacables passions des ultra-royalistes, et siégea en 1815 sur les bancs de la minorité. Il ne fut réélu qu’en 1817, époque où un esprit plus modéré triompha dans le pays, et, en présence de nouveaux dangers, il reprit place parmi les défenseurs zélés de la monarchie. « Je m’agite depuis quelque temps, écrivait-il alors dans son journal, avec autant d’inquiétude et d’impatience contre les ultra-libéraux que je le faisais, il y a un an, contre les ultra-royalistes. Je vois le danger d’un côté opposé à celui où je le voyais alors ; je lutte contre ce qui m’environne en faveur de la monarchie, et je vois avec inquiétude que les sentimens, les habitudes monarchiques sont tout-à-fait détruits. Dans les hommes d’aujourd’hui, la tendance est toute républicaine. Qu’arrivera-t-il de là ? Le présent est gros de révolutions. » Ces lignes signalent le moment où l’auteur se sépare de l’opposition libérale, dans les rangs de laquelle il avait siégé à une précédente législature ; elles établissent aussi très clairement les motifs de ce changement de position qui n’était que la conséquence de la fidélité à un principe. Comprenant bien que le désir de restaurer les anciens privilèges ne pouvait conduire qu’à une catastrophe, Maine de Biran s’indignait de voir le roi paralysé dans son action par des hommes qui se disaient ses partisans. Il écrit en 1821,

  1. Journal intime, 17 mars 1816.