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la seule partie du domaine de la religion qui se prête à une observation directe et immédiate, parce que la conscience même de l’individu en est le théâtre. C’était un nouveau motif pour que les faits de cet ordre fussent de la part de M. de Biran l’objet d’une préoccupation exclusive. Abordant les questions religieuses, nouvelles pour lui, il était conforme à tous ses antécédens de se placer sur le terrain du sens intime et de s’y renfermer. La doctrine du pardon qui lui avait échappé, parce que le fait du devoir ne l’avait pas suffisamment préoccupé, lui échappait donc encore à un autre titre. L’existence réelle d’un sauveur est un fait extérieur au croyant, bien qu’en relation intime avec sa conscience, un fait historique, produit de la libre volonté du Dieu de miséricorde. Lorsqu’on y croit, on éprouve en soi-même les conséquences de cette foi ; mais le fait auquel on croit, on ne l’éprouve pas, le sens intime tout seul ne saurait jamais l’atteindre. Or, Maine de Biran était toujours porté à constater ce qu’il éprouvait bien plus qu’à croire ce qui pouvait se passer hors de lui. Le pardon accepté rentrait beaucoup moins dans son point de vue que la grace immédiatement sentie. Une lacune considérable subsiste donc dans sa conception du christianisme ; je dis une lacune, non une négation. On ne le voit pas, en effet, se placer en présence de l’enseignement de l’église pour en accepter une partie et en rejeter une autre ; il ne se refuse pas à la doctrine du pardon, il semble ne pas l’apercevoir.

Ce n’est ici qu’une face particulière d’un caractère plus général de la religion de Maine de Biran. Cette religion repose tout entière sur les expériences intérieures et les faits de sens intime, sans aucune base extérieure historique, sans aucun élément objectif, pour employer un terme que l’usage a consacré ; elle est exclusivement un rapport personnel entre Dieu et lui, rapport dont la seule conscience est le théâtre. Jésus-Christ s’offre comme un idéal que la conscience accepte ; mais l’Homme-Dieu est-il venu dans le monde ? faut-il voir en lui un être réel qui a paru sur la terre, manifestation de la miséricorde éternelle ? sa venue et sa mission reposent-elles sur des témoignages authentiques ? peuvent-elles être appuyées sur des preuves appréciables par la raison ? — Ce problème est nul à ses yeux, il ne l’aborde pas ; il ne paraît attacher aucune importance à ce qu’on est convenu d’appeler les preuves extérieures de la religion.

Il semble avoir été fortifié dans cette tendance purement subjective par les efforts d’écrivains illustres qui tentaient de ramener les peuples à la religion, soit au nom des intérêts de la société et en faisant appel aux préoccupations politiques, soit au nom des souvenirs et en s’appuyant sur les prestiges de l’imagination. Telle était l’œuvre accomplie dans un sens par l’auteur du Génie du christianisme, et dans l’autre, par MM. de Bonald et Lamennais. Ces tentatives de restauration religieuse