Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un second baptême hérétique. Il y eut dans toute l’église africaine un cri de stupéfaction et de douleur.

Un pareil événement, arrivé le lendemain du rétablissement des lois d’unité, était destiné à faire grand bruit ; aussi la malignité publique ne manqua pas de s’en emparer. Pour la première fois, Bonifacius prétait le flanc aux attaques, et ce fut à qui le frapperait : les ennemis, les envieux, les indifférens, qui s’ennuyaient peut-être de l’entendre appeler l’héroïque, tous fondirent sur lui comme sur une proie. On se demanda si le comte d’Afrique n’avait pas lui-même apostasié, s’il était bien convenable que le palais du chef d’une grande province catholique se transformât en une officine d’hérésie, et qu’un comte des domestiques, qui commandait la garde de sa souveraine, affichât le mépris du gouvernement et la violation des lois. Il ne manqua pas de voix non plus pour souffler à l’oreille de Placidie que ce fait, en apparence imprudent, révélait des projets plus graves ; que Bonifacius, enivré de sa popularité, voulait se rendre indépendant en Afrique ; qu’abusant indignement de la confiance de la régente, il avait traité pour lui-même avec les Vandales, et que son apostasie était le premier gage qu’il leur donnait. Félix et Padusa étaient les colporteurs infatigables de ces calomnies dans le palais et au dehors. Placidie troublée voulut consulter Aëtius, que le désir d’observer de près les événemens avait ramené de Gaule en Italie. Aëtius avait été le compagnon d’armes du comte d’Afrique, et il affectait d’être toujours son ami : il l’excusait en public, sauf à le déchirer en secret. Il répondit avec une feinte sincérité aux ouvertures de la régente qu’avant de condamner un tel homme, il était bon de l’éprouver jusqu’au bout. « Ordonne-lui, ajouta-t-il, de venir s’expliquer sur-le-champ avec toi. S’il obéit, c’est qu’il ne songe pas à se révolter ; s’il refuse, tu sauras trop bien à quoi t’en tenir. Alors agis sans hésitation. » En même temps qu’il dormait ce conseil à la régente, il dépêchait en Afrique un de ses affidés chargé de remettre en main propre à son ancien ami un billet ainsi conçu : « Ta mort est jurée ; Placidie a changé de dispositions pour toi. Elle va te donner l’ordre de te rendre en Italie ; mais, si tu quittes l’Afrique, regarde-toi comme perdu. » Il demandait en outre le plus profond secret sur cet avertissement. L’ordre arriva en effet, et Bonifacius, qui n’avait pas lieu de douter de la bonne foi d’Aëtius, irrité, hors de lui, traita le mandement impérial avec le dernier mépris. Dans cette scène où le comte d’Afrique se laissa aller aux emportemens de son caractère, il éclata en récriminations contre la régente, en plaintes sur l’ingratitude dont on payait ses services, jurant qu’il ferait repentir ceux qui le récompensaient ainsi. Le dé était jeté : Félix et sa femme triomphaient.

On commença donc la guerre. L’armée envoyée d’Italie déserta ou