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invita Genséric à retourner en Espagne avec sa nation, moyennant une forte somme d’argent ; Genséric se moqua de lui. Il voulut parler haut et menacer ; Genséric le traita de perfide et lui déclara la guerre. Une sombre fatalité pesait désormais sur ce général jadis, si brillant et si heureux ; il fut vaincu et obligé de se renfermer dans Hippone, où Genséric vint mettre le siège par terre et par mer. Là, pour la dernière fois, se trouvèrent réunis, dans la même enceinte de murailles et sous le coup des mêmes périls, les deux principaux acteurs de la conférence de Tubunes, l’un repentant et désespéré, l’autre vieux, infirme, et n’ayant plus qu’un souffle de vie.

Les derniers momens d’Augustin, mêlés à ceux de l’Afrique romaine, appartiennent à l’histoire : ces deux grandes agonies se confondirent. Le vieillard chancelant retrouva, pour soutenir son troupeau dans ces mortelles alarmes, une force qu’il ne se supposait pas lui-même. Il fixa son poste à l’église, comme un général sur le rempart. Les pauvres pêcheurs d’Hippone s’y rendaient au sortir de la bataille pour reprendre haleine : Augustin les exhortait, les prêchait et priait avec eux. Le sublime docteur empruntait, pour parler à ces esprits grossiers, une sainte vulgarité de langage qui les remuait et les entraînait, et lorsque, dans quelque sermon simple et énergique, il leur avait ouvert la vraie patrie du chrétien, ce royaume du ciel où l’on ne trouvait pas de Vandales, ces braves gens retournaient se battre, le cœur tout réconforté. Le soir, Augustin réunissait à sa table les évêques de Numidie, refoulés dans Hippone par l’invasion, et qui l’entouraient comme un père. La conversation roulait ordinairement sur les malheurs ou les espérances de la journée ; on y ajoutait des réflexions sur la vanité des projets des hommes en face des redoutables arrêts de Dieu : nous tenons ces détails d’un témoin oculaire, évêque lui-même. Au récit des désastres qui venaient frapper l’une après l’autre les villes voisines, Augustin se troublait ; il suppliait Dieu avec larmes de ne le point rendre témoin du sac d’Hippone et de la profanation de son église, mais de le retirer du monde auparavant. Sentant ses forces s’abattre tout à coup et la fièvre le saisir, il se crut exaucé. Son unique soin fut dès-lors de se préparer à mourir, et, se réservant pour lui seul les dernières journées de sa vie, il s’enferma dans sa chambre, qu’il avait fait tapisser de feuillets contenant en gros caractères les psaumes de la pénitence. Son regard les parcourait encore, lorsqu’il expira, le 28 août 430, à l’âge de soixante-seize ans. Hippone ne fut point prise cette fois, grace à la famine qui se mit parmi les assiégeans et les contraignit de se disperser ; mais elle succomba l’année suivante, et un peu plus tard toute l’Afrique. Des troupes envoyées par l’empereur d’Orient ne surent pas la sauver.

Bonifacius, au comble du désespoir et de la honte, prit une résolution