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nous nous en exprimions ainsi avant même que le dénombrement et le classement des pétitions nous eussent donné raison par les chiffres. Le nom de Bonaparte et la possibilité plus ou moins vaguement entrevue d’une prorogation des pouvoirs présidentiels ajoutent certes de la force à l’élan qui pousse vers la révision ; mais il s’en faudrait qu’on voulût sacrifier la révision pour la prorogation pure et simple. Il y a sur treize cent mille pétitionnaires quelque douze mille qui réclament la prorogation toute seule. Si cependant, la révision étant refusée, et par la faute de qui ? on le verra bien, vous déclarez que votre souci n’est pas tant de veiller à toutes les fatales conséquences qui, de votre aveu même, résulteront de ce refus, mais uniquement d’empêcher une certaine réélection inconstitutionnelle pour l’amour de cette constitution que vous vouliez changer, savez-vous ce qui pourrait bien arriver et sortir de vos précautions mêmes ? C’est qu’on se persuadât que cette réélection qui vous déplaît si fort dût tenir lieu de la révision qui ne vous déplaisait pas moins ; gardez-vous alors qu’on ne se dédommage de ce que vous n’avez point donné l’une en vous donnant l’autre.

Aussi est-il des sages dans le parlement qui se mettent déjà sur leurs gardes, et M. de Tocqueville, si grand que soit son propre zèle, est un homme trop sérieux pour ne pas être embarrassé de pareils auxiliaires. Il y a des têtes sombres qui ne rêvent plus que hautes-cours de justice et crimes de haute trahison. M. Pascal Duprat avait naguère pris les devans et offert à l’assemblée les petits moyens de son invention pour la protéger contre l’ennemi. L’assemblée, n’étant point alors suffisamment inquiète, remercia son sauveur en votant la question préalable. M. Pradié a ramassé la proposition de M. Duprat, et il en a fait son lot, ou, pour mieux dire, il la découpe en amendemens qu’il faufile l’un après l’autre sur une vieille proposition de sa façon qui traitait en général de la responsabilité des fonctionnaires. Depuis trois ans, M. Pradié n’a guère vécu que sur cette idée-là ; c’est son dada parlementaire, il en faut bien monter un pour ne pas disparaître tout-à-fait dans la foule des humbles fantassins. M. Pradié a cependant une meilleure raison de se faire remarquer : il est le second d’un groupe de montagnards où l’on n’en compte, je crois, que deux : les montagnards catholiques, dont le chef est M. Arnaud (de l’Ariége), une personne, comme on sait, beaucoup plus recommandable par la loyauté de son caractère et même par un certain éclat de talent que par la rectitude de ses idées. M. Pradié est le soldat de M. Arnaud ; ils sont à eux deux, je ne dirai pas les disciples, il n’y a plus de disciples, ils sont un fragment perdu de l’ancienne école bucheziste. Ces fragmens-là se retrouvent aujourd’hui de tous les côtés, jusque dans la sacristie ; il est bien moins étonnant d’en rencontrer sur les bancs de la montagne, puisque le fonds de la doctrine, c’est d’être en même temps sous la double invocation de Robespierre et de Jésus-Christ. Ce n’est pas toujours dans l’Évangile que M. Pradié a puisé sa science de criminaliste politique. Le gouvernement ayant lui-même saisi le conseil d’état d’un projet de loi relatif à la responsabilité du président et des ministres, l’éternel projet de M. Pradié a été renvoyé par-devant la même autorité. Depuis, l’auteur ne cesse d’y ajouter amendemens sur amendemens, tous portant mise en accusation et déterminant des cas de haute trahison : haute trahison du président de la république pour avoir participé d’une façon quelconque à la