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pour l’assemblée de s’engager à annuler peut-être six millions de suffrages. »

Nous ne disons pas qu’ils se trouveront. Ce qui se trouvera dans cette urne fatale de 1852, qui le sait ? Nous disons seulement que, si les suffrages n’y doivent point être par millions, ce n’est pas le gouvernement qui les y fera venir avec cette affluence ; que, s’ils doivent y être, ce n’est pas l’assemblée qui les en éloignera. Nous prenons à témoin le pétitionnement révisionniste et nous en référons au rapport même de M. de Melun (du Nord), qui n’est pas suspect de partialité. M. de Melun est le rapporteur spécial de la sous-commission qui a été chargée d’examiner en détail les feuilles de toutes sortes déposées par les pétitionnaires. Au 1er juillet, il y avait plus de onze cent mille signatures ou adhésions ; le chiffre en atteint maintenant presque treize cent mille. Le procédé dont s’est servi M. de Melun pour communiquer à l’assemblée une idée générale et équitable de cette vaste expression d’un même vœu, son procédé de nomenclature ne laisse pas d’être assez singulier. Il y a 36,430 croix de gens qui ne savent point écrire, il y a 7,692 adhésions non certifiées contre 1 million 21,161 signatures authentiques et incontestées. Eh bien ! C’est un fait matériel, ce n’est pas une supposition malicieuse, le très petit nombre des pétitionnaires réputés incapables ou suspects tient plus de place dans le rapport et préoccupe plus l’attention du rapporteur que la masse énorme des pétitionnaires immaculés. Il faut vraiment, y revenir à deux fois pour s’apercevoir que les critiques désagréables dont le rapporteur poursuit le pétitionnement tombent toujours sur des minorités insignifiantes, ou même sur des individus, et ne concernent en rien l’immense majorité. À celle-ci l’on rend justice dans un alinéa perdu, puis on s’étale complaisamment dans des pages entières sur des irrégularités exceptionnelles ; on mentionne sans en rien omettre les écarts d’un sous-préfet trop zélé ; on n’a pas un mot de blâme pour les députés qui copient bravement les listes de leur endroit, afin de signaler les pétitionnaires aux aimables représailles de leurs concitoyens rouges. On accuse les maires qui enguirlandent leurs administrés au profit de la pétition, et l’on ne dit rien de ceux qui se refusent à la légaliser. Après toutes ces épluchures, il n’en reste pas moins un mouvement qui est en soi le plus considérable, le plus légal, le plus pacifique qu’on ait jamais vu chez nous ; qu’il aboutisse maintenant ou qu’il n’aboutisse pas, c’est déjà un grand point qu’il se soit produit, et ce ne sont pas les niaiseries ou les misères dont sont émaillées toutes les choses humaines qui en diminueront la portée. Nous ne sommes donc pas si dégoûtés que M. Baze, pour parler la langue de l’honorable questeur, et à ce propos nous lui demandons la permission de vider maintenant la petite querelle qu’il nous cherchée.

Nous n’avons pas en vérité le moindre fiel contre M. Baze. Nous aimons ses affections politiques, nous les partageons ; nous nous défendons seulement contre ses ardeurs, et nous lui reprochons d’apporter quelquefois, dans une cause qui nous est aussi infiniment chère et précieuse, le genre de zèle qu’il blâme de si bon cœur chez les sous-préfets trop bâtés de parvenir. C’est ce zèle intempestif qui l’entraîne dans des associations compromettantes pour la pureté de ses principes, et nous avouons qu’il nous peine de voir des modérés