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ensuite la pensée de Dieu : elle lui demande sincèrement pardon de toutes les fautes qu’elle a pu commettre ; elle espère qu’il voudra bien recevoir son ame dans sa miséricorde et dans sa bonté ; elle pardonne encore une fois à ses ennemis le mal qu’ils lui ont fait. Elle avait des amis : leurs peines et l’idée d’en être séparée pour jamais sont un des plus grands regrets qu’elle emporte en mourant. Sa pensée revient une dernière fois à ses pauvres et chers enfans ; elle leur adresse un adieu suprême : — Mon Dieu, qu’il est déchirant de les quitter pour toujours !… s’écrie-t-elle dans son cœur.

Le peintre de l’antiquité n’ayant à exprimer qu’un seul sentiment, une seule douleur, reculait devant ce qu’il regardait comme impossible, et couvrait d’un voile la tête de son héros. M. Paul Delaroche n’a pas, lui, de ces naïves faiblesses. Tout au contraire, il semble rechercher de préférence ces sujets où la physionomie humaine joue le rôle principal et doit beaucoup exprimer. Élisabeth terrassée par la douleur physique et la douleur morale, Strafford béni par l’archevêque de Cantorbéry ; Charles 1er captif, jouet d’une soldatesque insolente qui abuse de sa victoire et de sa force ; Richelieu mourant, songeant toujours à gouverner, mais surtout à se venger ; Cromwell contemplant le cadavre du roi décapité ; Napoléon franchissant le mont Saint-Bernard, sont, avant tout, si on peut s’exprimer ainsi, des personnages à expression. La tête de la reine Marie-Antoinette est le chef-d’œuvre du genre ; ’ elle traduit aussi complètement que possible toutes ces idées si douloureuses et si complexes que tout à l’heure nous n’avons fait qu’indiquer ; elle les traduit sans exagération ni recherche, et en les subordonnant aux deux grandes pensées qui préoccupèrent par-dessus, tout l’infortunée princesse : l’espérance en Dieu et le maintien de sa dignité royale. Nous savons que l’on a reproché au peintre l’exagération de ce dernier sentiment. En plaçant la reine sur le premier plan du tableau, en concentrant sur sa figure le seul rayon de jour qui perce ces ténèbres, a-t-il, comme on l’a prétendu, dépassé son but et démesurément grandi là victime ? Nous ne le pensons pas. Bossuet, dans sa magnifique oraison funèbre de la reine d’Angleterre, n’a pas autrement procédé. Après ce préambule de quelques lignes, dans lequel l’orateur chrétien rapporte naturellement tout à Dieu, il remplit exclusivement toute la première partie de son discours du récit des infortunes de la princesse, de l’éloge de ses vertus et de ses grandes qualités. Ce n’est que plus tard qu’il daigne jeter un rapide coup d’œil sur cette révolution d’Angleterre qui a vaincu sa reine, et sur cet homme d’une profondeur d’esprit incroyable qui s’est rencontré pour faire triompher la réformation, mais qu’il ne représente, après tout, que comme un de ces instrumens dont il plaît à Dieu de se servir quand il veut châtier les peuples et instruire les rois. Si M. Paul Delaroche a suivi dans sa composition une marche analogue à celle de l’orateur chrétien, s’il a concentré l’intérêt sur la royale victime aux dépens des personnages qui l’entourent, qui oserait l’en blâmer ? Les conditions de son art ne lui permettaient pas sans doute de faire apparaître, sur l’avant-scène de son tableau, l’image de celui de qui relèvent les empires et qui se glorifie de faire la loi aux rois et de leur donner, quand il lui plait, de grandes et de terribles leçons ; mais il est aisé de reconnaître qu’il n’y a là qu’un sous-entendu. L’idée religieuse ne pouvait être écartée d’un tel sujet ; elle se retrouve dans l’attitude digne à la fois et résignée de la reine, dans ce regard