Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de tous les grands acteurs de ce drame, hommes et femmes, qui s’adressaient à Lenet comme au ministre du prince, recherchaient son amitié, lui faisaient part des plans qu’ils imaginaient, lui demandaient de l’argent, et par lui s’efforçaient de s’entretenir dans la faveur du maître et dans la connaissance des affaires.

Nous nous empressons de le déclarer, pour prévenir une attente que nous ne saurions satisfaire : les lettres de Mme de Longueville que nous avons recueillies ajoutent à peine quelques faits nouveaux à l’histoire ; elles n’ont pas non plus une grande importance littéraire, bien qu’il s’y rencontre de loin en loin de fort beaux traits. Notre unique objet, nous en avertissons bien, est de faire pénétrer davantage dans l’intimité d’une ame d’élite, qui nous inspire un intérêt particulier, et d’offrir à la curiosité de notre temps une page nouvelle de l’histoire des femmes illustres du XVIIe siècle.

Mais si les billets que nous allons publier éclairent le caractère de Mme de Longueville, il est tout aussi vrai que ce caractère bien compris les éclaire encore plus et les met dans leur véritable jour. Pour introduire et intéresser à un ouvrage, il est assez reçu de commencer par quelques détails sur son auteur, et, comme ici l’auteur est une femme, il faut bien faire connaître un peu sa personne, ainsi que son esprit et son cœur, et la part qu’elle a prise aux événemens auxquels nos lettres se rapportent.


I

Anne-Geneviève de Bourbon était fille, comme nous l’avons dit, de cette Charlotte-Marguerite de Montmorency, princesse de Condé, qui avait tourné la tête à Henri IV, et qu’il voulait, dit-on, aller arracher à Bruxelles des mains jalouses de son mari, au risque de mettre le feu à toute l’Europe. La fille était au moins aussi belle que la mère, et c’est là un premier avantage de Mme de Longueville qui, nous l’avouons, ne nous est pas d’un attrait médiocre.

La beauté étend son prestige sur la postérité elle-même, et attache un charme, vainqueur des siècles, au nom seul des créatures privilégiées auxquelles il a plu à Dieu de la départir. Mais je parle de la vraie beauté. Celle-là n’est pas moins rare que le génie et la vertu. La beauté a aussi ses époques. Il n’appartient pas à tous les hommes et à tous les siècles de la goûter en son exquise vérité. Comme il y a des modes qui la gâtent, il est des temps qui en altèrent le sentiment. Les grands siècles seuls ont le goût de la grande beauté, et, par un accord merveilleux, elle ne paraît avec un peu d’abondance que là où elle est sentie et comprise. Par exemple, il était digne du XVIIIe siècle d’inventer les jolies femmes, ces poupées charmantes, musquées et poudrées, dissimulant les attraits qu’elles n’ont point sous leurs vastes paniers et