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jeté sur le pavé de nos villes, après avoir désappris ce qu’il savait de moyens de gagner sa vie, sans pécule qui lui donne le temps d’atteindre le travail qui le fuit, fatalement voué à la récidive. La suppression du travail des prisons cause à l’état une perte annuelle de plus de deux millions ; mais, si pressant que soit le besoin d’économie, les considérations financières sont ici les dernières à présenter. C’est être coupable envers le condamné que d’aggraver sa peine par une oisiveté dévorante ; c’est l’être envers la société que de le remettre en circulation après l’avoir systématiquement dépravé. Si le droit au travail existe quelque part, c’est dans les lieux où l’homme est privé de l’exercice de son libre arbitre, et, pour se convaincre de la nécessité du rétablissement du travail dans les prisons, il ne faut que regarder ce qu’elles donnent de récidivistes depuis qu’on l’en a exclu.

Si l’état doit occuper le condamné, le condamné doit du travail à l’état. Étranges contradictions ! lorsque l’homme qui n’a point failli mange son pain à la sueur de son front et contribue par l’impôt aux besoins collectifs de la société, celui qui l’a blessée par ses attentats est admis à vivre à ses dépens ! Il lui devait une réparation, et elle le prend à sa charge ! La justice et la politique veulent au contraire que le criminel condamné restitue sous une forme quelconque à l’état les dépenses qu’il lui cause, et dans un pays gouverné cette obligation ne serait pas vaine.

Quelque exagérés qu’aient été les reproches adressés au travail des prisons, la difficulté de l’organiser sans froisser non des droits, mais des intérêts respectables, a embarrassé des législateurs plus expérimentés que les nôtres. L’obligation d’occuper sans relâche des ateliers toujours composés en grande partie d’apprentis n’est acceptable qu’à la condition de payer peu le travail, et, quand ce bas prix n’exclue pas les industries libres du marché, il est un sujet de plaintes amères ; mais si, sortant de ce cercle fatal, le travail des condamnés, au lieu de restreindre le travail des ouvriers honnêtes, venait en élargir la base, il obtiendrait autant d’accueil qu’il soulève aujourd’hui d’objections.

Tant que le travail des prisons sera purement manufacturier, il excitera dans le commerce libre les plaintes sous lesquelles il a succombé en Angleterre ; d’ailleurs des griefs fondés sur des rivalités d’intérêts n’en sont pas le seul inconvénient. La plupart des travaux de fabrique s’exécutent en commun : y dresser les condamnés, c’est les préparer à une inévitable et fâcheuse immixtion avec les ouvriers honnêtes. D’un autre côté, lorsqu’un paysan a passé plusieurs années à mal apprendre dans une maison de détention le métier de fileur ou de tisserand, il ne retourne guère à la charrue ; il va plutôt augmenter l’encombrement des villes. Les travaux de manufacture, lors même que la pratique en a été pliée aux exigences du régime cellulaire, jettent