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Conti, et aussi Mme de Longueville, et c’est ce voyage de Guyenne, fait en compagnie du duc de Nemours, qui la brouilla sans retour avec La Rochefoucauld. Au bout de quelque temps, le prince de Condé, ayant appris que l’armée de la fronde, avec des généraux médiocres et qui ne s’entendaient pas, courait risque d’être battue par l’armée royale sous les ordres du maréchal d’Hocquincourt et de Turenne, partit en secret de Bordeaux, traversa presque toute la France pour prendre lui-même le commandement des troupes et rétablir les affaires. Il laissa en Guyenne le prince de Conti et Mme de Longueville, avec deux hommes qui avaient toute sa confiance, Marsin[1] pour la guerre, Lenet pour le civil et la diplomatie. Le prince de Conti n’était là que pour l’apparence ; l’autorité véritable était entre les mains de Mme de Longueville, ayant pour conseil Marsin et Lenet. Elle s’y conduisit d’abord, comme à Stenai, avec son intelligence et son activité accoutumée, sans cesse occupée à donner des ordres, et entretenant une vaste correspondance avec une foule de personnes qu’elle encourageait ou ménageait, sans oublier les dames, ni même les beaux- esprits.

Voici une assez jolie lettre adressée à Mlle de Rambouillet, la fameuse Julie d’Angennes, où Mme de Longueville se plaint avec grace du silence de son ancienne amie, et lui fait des complimens de condoléance sur une blessure qu’avait reçue son mari, M. de Montausier, en combattant contre la fronde.


« A Bordeaux ce 4 juillet 1652[2].

Estes-vous morte, ou croyez-vous que je le sois ? La voix publique ne m’a point appris la première de ces choses, et pour la dernière elle n’est point, quoique véritablement elle ayt pu l’estre ; car enfin, depuis le temps que vous ne vous souvenés plus de moy, j’ai esté quasi tous les jours exposée aux mousquetades, et depuis les coups de poing jusques à ceux de canon. Tout cela n’a point attiré votre pitié, au moins je n’en ay receu aucune marque, et par là je juge que rien ne vous en peut donner : car de me savoir perpétuellement au milieu des séditions, je ne trouve guiere de choses au monde plus déplorables. Mes occupations telles que je vous les représente, et le peu de sensibilité qu’elles vous ont donnée, ne m’empeschent pas d’en avoir une extraordinaire pour le desplaisir que vous avez receu de la blessure de monsieur de Montausier. On nous assure ici qu’elle est sans péril, et madame votre sœur mesme m’a mandé que les chirurgiens n’apréhendoient rien de fâcheux des suites de ce malheur. La manière dont il aura touché madame votre mère m’est tout à fait sensible. Ayés la bonté de luy vouloir

  1. Jean-Gaspard-Ferdinand, comte de Marsin, mort au service d’Espagne en 1673 ; c’est le père du maréchal de Marsin.
  2. Manuscrits de Conrart, t. X, p. 247. Nous avertissons que les lettres trouvées dans les papiers de Conrart ne sont point autographes.