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entre la Tribune de Florence et le salon carré. Il y a, je le sais bien, un terme de comparaison qui peut être invoqué avec succès : c’est l’importance, la valeur des ouvrages exposés dans le salon carré. Il est certain que le Musée de Paris possède des tableaux de premier ordre, des tableaux que l’Europe entière nous envie. Sur ce terrain, je ne me charge pas d’engager la discussion, et ce serait d’ailleurs pure folie. Oui, la Joconde de Léonard, l’Antiope du Corrége, les Noces du Véronèse, la maîtresse du Titien, peuvent lutter glorieusement avec les plus belles œuvres placées dans la Tribune de Florence. La question ainsi posée se résoudrait à l’avantage de M. Duban, ou du moins resterait tellement douteuse, qu’il pourrait s’attribuer la victoire ; mais il s’agit de savoir s’il a traité les peintures qui lui étaient confiées avec le soin, avec la réserve, avec le respect qui recommandent l’architecte de Florence. Or, la question posée en ces termes nouveaux change complètement d’aspect. Chacun sait en effet que les ouvrages placés dans la Tribune de Florence n’ont pas besoin de disputer l’attention des spectateurs aux ornemens de la voûte. Le Christ d’André del Sarto, la Vénus du Titien, le portrait de la Fornarina, le portrait de Jules II, sont librement contemplés, et la voûte, qui se contente de verser des flots de lumière, ne distrait pas un seul instant l’attention. La Sainte Famille de Michel-Ange, la seule peinture à l’huile de ce maître illustre qui puisse être considérée comme authentique, se laisse étudier sans effort, sans hésitation, car l’architecte de Florence, dont j’ignore le nom, a pris à tâche de respecter la peinture. Ceux qui mettent en doute les Parques de la galerie Borghèse, malgré l’austérité qui les recommande et qui paraît leur donner un caractère d’authenticité, peuvent admirer à loisir cette composition singulière, dont les personnages principaux respirent la ferveur chrétienne, dont le fond est complètement païen. Le portrait de Jules II, dont l’exécution est si parfaite, dont le carton placé au palais Corsini est d’une largeur si désespérante, ne se laisserait pas étudier si librement, si l’architecte florentin eût été animé des mêmes idées que M. Duban, s’il eût voulu attirer l’attention sur son œuvre, et ne tenir aucun compte des tableaux placés sous la voûte qu’il avait à décorer.

Si tous les tableaux placés dans la Tribune de Florence sont librement étudiés, c’est que l’architecte n’a pas perdu de vue un seul instant le sens vrai de la mission qui lui était confiée ; c’est qu’il s’est toujours considéré comme le très humble serviteur de la peinture, et n’a pas songé un seul jour à la dominer, à l’effacer. Or, c’est là précisément la condition que M. Duban a constamment méconnue. Autant l’architecte florentin a montré de modestie et d’abnégation, autant M. Duban a montré d’orgueil et d’ostentation. Au lieu de mettre son talent au service de la peinture, il s’est efforcé d’assurer le premier rang aux ornemens qu’il avait dessinés. Cette pensée qui, fidèlement exécutée, peut flatter l’amour-propre de M. Duban, n’a rien à démêler avec la destination du salon carré. Si l’Antiope du Corrége résiste à l’écran écarlate sur lequel elle se détache, ce n’est pas la faute de l’architecte : à parler franchement, il n’est pas complice de son succès. Si la Joconde de Léonard n’est pas éteinte par le fond nouveau où elle se trouve placée, ce n’est pas la faute de M. Duban. Sans la renommée, consacrée par trois siècles, qui défend aux plus incrédules de remettre en question la valeur de cette œuvre, je ne sais pas comment elle serait jugée dans le salon carré. Quant aux Poussin, et surtout quant à la Vierge de