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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/678

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et, à peine née, l’ame qu’il s’est créée n’a plus qu’un mot à lui dire : c’est que rien de ce qu’elle a rencontré ne saurait la satisfaire. « La science de vos sages, s’écrie-t-il avec un magnifique dédain, on peut en voir les fruits dans notre monde de ténèbres et gémissemens, dans les luttes : sans fin et dans toutes les souffrances qu’elle n’a pas su guérir. » La science du passé ne peut pas donner tout ce que ses désirs réclament, donc il n’y a rien de bon en elle. Il aspire, il est une aspiration vivante qui ne veut plus s’occuper qu’a s’interroger elle-même, à découvrir tout ce qu’elle désire, et à le vouloir quand même, en ne voulant que cela. Il repousse tout appui ; il renonce à toute affection et à toute joie ; il est résolu à ne rien accepter des hommes, pas même leur approbation ; il veut éclairer l’humanité ; mais il entend « ne recevoir aucun service de ceux qu’il servira. »


« Que vous dirai-je ? répond-il à Festus, — dont l’affection de cette voie, qui ne peut être la bonne, puisqu’elle conduit dès l’abord au dédain de toute affection humaine ; — que vous dirai-je ? Dès mon enfance, j’ai été dévoré d’une flamme qui brûlait toujours, tantôt sourde, tantôt vive, comme si quelque volonté hors de moi l’attisait ou la calmait tour à tour… Encore une fois j’aime mon but pour ses seuls attraits : c’est la valeur même de ma vocation qui m’attire. — Vos sages l’ont répété : homme, c’est-à-dire faible ; raison de plus pour que je me donne corps et ame à ma résolution ; hors d’elle, tout le reste… peu importe ! Je ne perds que peu en rejetant tout encouragement toute aide autres que les siens ; je le regrette : je n’ai pas assez de sacrifices à lui faire… Les sages ont tout perdu ; moi, je dois me contenter de tout gagner.

« — Je ne chercherai plus à vous retenir, répond Festus. Il nous a été accordé des facultés qui portent avec elles une inévitable destinée. Vous êtes de ceux qui doivent trouver autour d’eux des instrumens dociles, et qui sont faits pour attirer vers eux les esprits moins forts en leur inspirant un amour que jamais eux-mêmes ne peuvent éprouver. »


Paracelse part donc ; la, paisible retraite où il prend congé de ses amis, la douce et tendre Micheline, qui partageait toutes ses espérances et qui s’est effrayée seulement en l’entendant renoncer au bonheur d’aimer, tout le petit monde enfin du bon pasteur Festus est un suave tableau de ces premières joies du foyer que l’on quitte pour aller à son but, ou du moins pour aller où il appelle et aboutir où il plait à Dieu.

Tournons la page. Paracelse est à Bâle. Les cures qu’il a opérées l’ont rendu illustre ? Il a été appelé à professer à l’université, et les savans de l’Europe se pressent à ses leçons. C’est ici surtout que se dessine la pensée qui fait l’unité du poème. – Fort probablement d’autres écrivains auraient considéré les succès médicaux de Paracelse comme la conséquence naturelle d’une suite d’efforts dirigés vers la médecine : ils y auraient vu l’accomplissement des espérances qui l’avaient mis en