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manqué aux hommes, ce sont les hommes qui ont manqué aux chances. Il y a eu d’affreux malheurs, d’épouvantables catastrophes ; mais ces malheurs et ces catastrophes ont en pour cause la méchanceté des uns et la faiblesse des autres. Ne faisons donc plus de l’histoire de la révolution française un argument pour le fatalisme oriental ; ne disons pas Dieu l’a voulu ! Non ; Dieu l’a permis comme il permet le mal ici-bas à la liberté humaine. Loin que l’histoire de la révolution, comme nous le voyons dans la correspondance de Mirabeau avec le comte de La Marck, nous enseigne à nous croiser les bras, elle doit nous montrer que les révolutions elles-mêmes, ces événemens qu’on prétend irrésistibles comme les arrêts de Dieu, ne se font que parce qu’on les laisse faire.

Le gouvernement de Louis XVI ne s’est pas défendu. Quand l’Europe a laissé tomber la tête de Louis XVI et plus tard celle de Marie-Antoinette sur un infâme échafaud, en face des armées de la Prusse et de l’Autriche, c’est que l’Europe monarchique n’a su non plus ni attaquer ni se défendre, et un des correspondans de M. le comte de La Marck, M. Pellenc, autrefois secrétaire de Mirabeau, avait raison d’écrire, le 29 octobre 1793, après le meurtre de la reine : « On n’a peut-être pas assez réfléchi aux suites que peut avoir cette physionomie uniforme qu’on remarque entre toutes les cours de l’Europe et malheureusement trop semblable à celle de l’infortuné Louis XVI : même imprévoyance de l’avenir, même incrédulité pour les dangers les plus prochains, même aversions pour les mesures hardies, mêmes espérances d’un changement favorable, qui pourtant a toujours amené un état pire que le précédent. Je pourrais dire encore : mêmes ministres et mêmes généraux, car en 1789 on n’osa pas non plus faire marcher de Versailles contre Paris une armée encore fidèle, et qui trois jours plus tard fut séditieuse[1]. »

Il n’y a pas de spectacle plus triste que celui de Louis XVI mis par la destinée aux prises avec les terribles difficultés de la révolution, n’en comprenant pas la portée, usant des petits moyens de l’ancienne politique dans un temps et contre des hommes nouveaux, ne sachant jamais ni prendre une décision, ni s’y tenir. Cette indécision, qui était un des malheurs du caractère de Louis XVI, et que les difficultés du temps augmentèrent singulièrement, est exprimée d’une manière piquante et vraie par un mot de M. le comte de Provence[2] dans un entretien avec le comte de La Marck. « La faiblesse et l’indécision du roi, poursuivit Monsieur, sont au-delà de tout ce qu’on peut dire. Pour vous faire une idée de son caractère, imaginez des boules d’ivoire huilées que vous vous efforceriez vainement de retenir ensemble. » Ajoutez

  1. Tome III, p. 451.
  2. Le roi Louis XVI, t. Ier, p. 125.