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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/740

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ennemis parmi ceux qui auraient dû être ses serviteurs les plus dévoués et, les plus reconnaissans. Ils ont été d’autant plus dangereux que ce sont eux qui ont livré à la malignité publique d’odieuses calomnies qui sont retombées cruellement sur la tête de cette malheureuse princesse dès le début de la révolution française, et c’est dans les méchancetés et dans les mensonges répandus de 1785 à 1788 par la cour contre la reine qu’il faut aller chercher les prétextes des accusations, du tribunal révolutionnaire en 1793 contre Marie-Antoinette[1]. »

Paroles judicieuses et profondes : oui, je viens de relire le procès de la reine, et j’ai retrouvé avec terreur dans la bouche de Fouquier-Tinville et du président du tribunal révolutionnaire les médisances du beau monde de Versailles et de Paris transformées en accusations sanguinaires. Écoutez comme Fouquier-Tinville accuse Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, « d’avoir dilapidé d’une manière effroyable les finances de la France, fruit des sueurs du peuple, pour satisfaire à des plaisirs désordonnés. » Quelle infamie ! direz-vous. Que voulez-vous ? les salons ont ricané sur les écossaises que lord Strathavon dansait avec la reine : Fouquier a traduit dans son argot les ricanemens des salons. « Où avez-vous donc pris, dit à Marie-Antoinette le président du tribunal révolutionnaire, où avez-vous donc pris l’argent avec lequel vous avez fait construire et meubler le petit Trianon, dans lequel vous donniez des fêtes dont vous étiez toujours la déesse ? » Sotte et misérable insulte ! — Oui ; mais qui vous dit que quelque beau seigneur de 1780 n’a pas dit à son valet de chambre, le lendemain, d’une fête à Trianon où il n’avait pas été invité : C’était beau, mais c’était cher ! ou quelque banalité médisante de ce genre, et le valet de chambre l’a redit à la frisette, et la grisette, vieillie et aigrie, l’a répété dans son monde subalterne et envieux, et d’échos en échos, toujours descendant, toujours grossissant, toujours s’envenimant, le mot est arrivé au tribunal révolutionnaire. L’épigramme de 1789 est devenue la déclamation furibonde de 1793 ; l’épingle s’est changée en hache.

Je ne connais pas, à ce propos, de plus singulier et de plus terrible exemple de la transformation que la bêtise et la malignité populaire font subir aux mots même les plus innocens, aux plaisanteries même les plus insignifiantes, que la déposition de Renée Millot dans ce lamentable procès de la reine, où je recherche à dessein les traces des médisances et des conversations de Versailles. « Renée Millot, fille domestique, dépose qu’en 1788, se trouvant de service au grand commun, à Versailles, elle avait pris sur elle de demander au ci-devant comte de Coigny, qu’elle voyait un jour de bonne humeur : Est-ce l’empereur continuera toujours à faire la guerre aux Turcs ? Mais, mon Dieu !

  1. Tome Ier, p. 60.