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que je vous porte un véritable intérêt. Mon intention n’était point de vous faire de la peine, encore moins de vous humilier, bien au contraire, je voudrais vous inspirer plus de respect de vous même.

— Voilà qui est parlé, s’écria Rosita en se redressant avec fierté : vous avez le regard un peu hautain et la parole un peu sèche, don Patricio ; mais vous êtes bon. Je vous obéis, et je m’en vais. Quand je vous reverrai, il ne faudra plus m’appeler señorita, mais Rosita tout court. Adieu, seigneur cavalier ; à bientôt… Elle gagna la porte d’un pas rapide, puis, se retournant sur le seuil : — Quand vous écrirez à mademoiselle votre sœur, ajouta-t-elle, dites-lui que je l’aime !

Quand elle fut partie, le lieutenant Patrick s’aperçut qu’en cette première rencontre il avait déjà perdu du terrain : la jeune fille lui avait causé une assez vive impatience par ses manières indiscrètes ; mais avait-il blâmé sa conduite avec fermeté ? s’y était-il pris de manière à ce qu’elle ne reparût jamais en sa présence ? Désirait-il même ne plus la revoir ? Sans se l’avouer, il était étonné de trouver, dans cette Limeña, qui n’avait reçu aucune éducation, je ne sais quelle grace native qui en tenait lieu jusqu’à un certain point. Il se demandait comment, au lieu d’éconduire tout d’abord cette jeune fille, il s’était laissé surprendre et étourdir par son babil ; comment celle-ci, malgré les maladresses de ses actes et de son langage, avait produit sur son esprit une impression quelconque : c’étaient là des questions difficiles à résoudre et qui l’occupèrent long-temps. De son côté, Rosita, tout en retournant chez elle, réfléchissait sur cette entrevue. Ces étrangers, pensait-elle, ont de singuliers préjugés ! ils se retranchent derrière un cérémonial qui déconcerte de simples gens comme nous. C’est égal, il ne m’a pas trop malmenée, et s’il faut de grands airs, Rosita saura les prendre tout comme une autre.


IV

Si le chanoine don Gregorio se croyait tenu en conscience de donner des avis au jeune, lieutenant Patrick, il ne les épargnait pas non plus à la mère de Rosita : mais la bonne dame, elle se nommait doña Mercedes, après avoir écouté avec patience les remontrances du chanoine, y répondait nonchalamment par de courtes phrases qui toujours exprimaient cette idée : — Que voulez vous que j’y fasse ? ne sont-elles pas toutes ainsi ? — Son mari, qui remplissait les fonctions de sacristain et de sonneur dans une petite paroisse des faubourgs de Lima, passait la plus grande partie de ses journées hors de chez lui. Quand il avait fini de faire tinter ses cloches, il s’accoudait à ma plus haute fenêtre du campanile, et promenait sur l’horizon ses regards inoccupés : les gens qui vivent dans les lieux élevés deviennent à la