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France peut se créer sur ce nouveau terrain à côté des autres puissances de l’Occident. L’Angleterre importe dans ses entrepôts 25 millions de kilogrammes de thé, les États-Unis 8 millions, la Russie 4 millions. Quant à la France, elle ne transporte que le thé nécessaire à sa consommation et n’en reçoit pas 300,000 kilogr. par an. La soie grège n’est exportée que par l’Angleterre et les États-Unis. L’Angleterre en demande au Céleste Empire plus, d’un million de kilogrammes, représentant une valeur d’environ 35 millions de francs. De tous les pays qui cherchent en Chine un débouché pour leurs produits, l’Inde anglaise est le seul qui y trouve un marché facile, et qui puisse y faire pencher la balance des échanges en sa faveur. La Chine reçoit annuellement de Calcutta et de Bombay pour 30 millions de coton brut, pour 120 millions d’opium. Les manufactures britanniques, en se condamnant à ne vendre leurs tissus qu’à vil prix, sont parvenues cependant, malgré la concurrence de l’industrie chinoise, à faire entrer dans les ports de Canton et de Shang-haï une valeur de 33 millions en fils de coton et en cotonnades, de 11 millions en tissus de laine. Les draps russes offerts à Kiaclita et dans l’Asie centrale, les cotonnades américaines importées à Shang-haï, acceptent les mènes conditions et se résignent aux mêmes sacrifices. Ce commerce onéreux se soutient à l’aide des bénéfices réalisés sur les chargemens de retour, et contribue encore à exclure les produits français de l’extrême Orient. Aussi, dans les meilleures années, les échanges de la France avec la Chine n’ont-ils pas dépassé 2 millions.

Des situations aussi tranchées que celles de l’Angleterre et de la France assignaient à l’intervention de ces deux puissances en Chine des conditions bien distinctes. On comprend que l’Angleterre se préoccupe avant tout des intérêts matériels qu’elle exploite presque sans partage. Nous avons dû porter notre action sur un autre terrain. L’ébranlement moral causé par la guerre de l’opium est venu imprimer dans l’extrême Orient une nouvelle impulsion au zèle de nos missionnaires, et a multiplié pour notre pavillon, sur les côtes du Céleste Empire, les occasions de se montrer fidèle aux plus nobles traditions de la France.

En ce moment, la Chine fait de nouveaux efforts pour se soustraire aux influences européennes. Attaqué dans son immobilité séculaire, le vieil empire se débat contre la pression matérielle de l’Angleterre et contre la propagande religieuse qui se poursuit sous la tutelle de la France : le peuple chinois cherche à se replier encore une fois sur lui-même. Cette période de résistance ne hâte pas moins le développement de l’avenir que la trêve apparente qui suivit le traité de Nan-kin. Mieux que d’autres peut-être, nous pouvons apprécier la portée réelle et l’effet probable de ces tendances rétrogrades, car sous nos yeux mêmes