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M. l’amiral Cécille, M. Lefebvre de Bécourt, consul accrédité auprès du gouvernement chinois M. le commandant Lapierre, se chargèrent successivement de réclamer la complète et sincère exécution des décrets de l’empereur. Le gouvernement français s’occupa enfin d’assurer à cette salutaire vigilance une portée plus efficace encore, en confiant le soin de l’exercer à un agent revêtu d’un caractère essentiellement politique. Un nouveau poste diplomatique fut créé à Canton, et M. Forth-Rouen reçut, avec le titre de ministre de France, la mission d’aller recueillir et défendre l’héritage de M. de Lagrené. Au mois d’avril 1847, M. Forth-Rouen s’embarqua à Cherbourg sur la corvette la Bayonnaise, qui devait le transporter à Macao. À partir de ce moment, pour suivre les relations de la France avec la Chine dans la voie nouvelle ouverte aux deux pays par le traité de Wam-poa, nous n’aurons plus à consulter que nos propres souvenirs.

Pour attacher la France à la conservation de son influence morale en Chine, nous n’avons pas besoin d’évoquer des calculs positifs qui paraîtraient aujourd’hui prématurés : nous ne demandons point que le patronage des chrétiens chinois devienne dans nos mains un levier politique ; mais nous ne pouvons oublier, quand nous appelons l’attention de notre pays sur cette question un peu mise à l’écart, que le jour où l’unité du Céleste Empire viendrait à se dissoudre, le jour où l’Europe serait appelée à intervenir d’une façon plus directe, plus pressante dans les affaires de l’extrême Orient, la France serait la seule puissance européenne dont le nom pût être invoqué avec confiance par une partie de la population chinoise. Les intérêts commerciaux peuvent naître pour nous en Chine de la moindre modification apportée dans nos tarifs, du plus léger changement qui se produira sur les marchés de l’Asie : les intérêts politiques, sont déjà crées. L’Orient est plein de sourdes et mystérieuses rumeurs. Tout indique que cette vieille société est profondément remuée et tremble sur sa base. Il ne dépend point de la France de fermer ces vastes perspectives ; il est de son devoir de les envisager avec sang-froid et de méditer le rôle qu’elles lui réservent. Nous pouvons ne point presser de nos vœux ce moment d’inévitable expansion, nous pouvons ajourner nos désirs à des temps plus prospères ; mais si jamais, accomplissant la parole de l’Écriture, la race de Japhet vient s’asseoir sous la tente des races sémitiques, l’Europe doit s’y attendre la France doit l’espérer, les missions catholiques nous auront gardé notre place à ce nouveau foyer de richesse et de grandeur.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.