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à la voix de la passion ; elle accueille, elle aspire comme un parfum enivrant les paroles ardentes d’Amaury. Sans bannir de sa mémoire l’image de son mari, elle se laisse aller à l’espérance d’être aimée sans partage et ne pressent pas le danger d’une telle espérance, car la conscience d’un mutuel amour suffirait à son bonheur. Habituée aux extases de la prière et de la méditation, elle ne connaît pas le trouble des sens ; aussi elle s’abandonne sans défiance à la joie, à l’orgueil d’être aimée, et marche au-devant de la lutte qu’elle ne prévoit pas. Cependant, malgré sa force, malgré la pureté de sa conscience, elle succomberait peut-être, si elle trouvait dans Amaury un adversaire assez grand pour excuser sa défaite ; mais, en présence de ce cœur énervé par la volupté, sa fierté s’alarme, et ses yeux se dessillent. Après avoir mesuré du regard l’homme qu’elle avait cru grand et digne d’elle, Mme de Couaën comprend le néant de ses espérances. L’étonnement et la confusion doublent ses forces ; l’image du devoir lui apparaît plus douce et plus consolante. Elle ne quittera pas le port pour affronter la tempête, pour remettre son sort entre les mains d’un homme sans courage, sans volonté. Un tel personnage est à coup sûr une conception hardie où plus d’une femme se reconnaîtra. — Bien que M. de Couaën ne manque assurément ni de grandeur ni de sévérité, il me semble inutile de le caractériser, car il ne concourt pas directement à la marche de l’action. Il se trouve mêlé aux projets politiques de George Cadoudal, et sa haine pour le premier consul absorbe toutes ses facultés. C’est pourquoi je me crois dispensé d’en parler.

Le récit composé par M. Sainte-Beuve se recommande par la simplicité. Amaury ébauche trois amours, et le courage lui manque pour toucher le but ; il n’ose prendre un engagement sérieux, et les trois femmes dont il a troublé la vie se détournent de lui avec dédain. Un jour ces trois femmes se trouvent réunies, et, sans échanger une parole, éclairées par un instinct tout-puissant, elles comprennent, en regardant Amaury, qu’elles ont devant les yeux la source commune de leurs douleurs. Amaury, sans les interroger, se sent terrassé par les reproches qu’elles lui adressent du fond de leur cœur. Il sent que la vie du monde lui échappe, qu’il n’a plus désormais qu’un seul rôle à remplir, le rôle de consolateur, et se réfugie en Dieu comme dans un suprême asile. À peine a-t-il dit un éternel adieu aux espérances dont il avait nourri sa jeunesse, à peine est-il ordonné prêtre, que ses nouveaux devoirs l’appellent près du lit funèbre de Mme de Couaën. Dans la peinture de cet épisode pathétique, M. Sainte-Beuve a montré tour à tour une magnificence, une austérité de langage qui émeuvent profondément. Amaury récitant sur le corps de la femme qu’il a aimée les prières de l’église pour les morts, bénissant d’une voix entrecoupée de sanglots les yeux dont le regard l’éblouissait, la bouche qui portait