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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/868

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toutes les preuves pour établir nettement la position de Pascal en face de la philosophie. Nous étions habitués à croire que l’auteur des Pensées était arrivé ou revenu à la religion par le raisonnement le plus rigoureux ; il n’en est rien. Quelles que soient les conséquences qu’on en puisse déduire, nous sommes obligés désormais de reconnaître que Pascal est revenu à la foi en désespérant de la raison. On a dit et répété bien souvent que Pascal avait voulu réconcilier la religion et la philosophie. C’est une erreur qui ne peut plus subsister aujourd’hui. Il n’y a qu’une seule manière de caractériser justement la tentative de Pascal, c’est d’affirmer qu’il a voulu établir la religion sur les ruines de la philosophie. Toute autre affirmation serait ou fausse ou incomplète. L’application de la règle des paris et la comparaison des deux infinis ne permettent pas d’envisager sous un autre aspect l’œuvre suprême dont nous possédons l’ébauche. Fénelon et Bossuet, comme l’a très judicieusement remarqué M. Cousin, comprenaient autrement les intérêts de la foi. Dans leurs travaux théologiques, ils n’ont jamais oublié, jamais foulé aux pieds l’autorité de la raison. Ils m’ont pas cru que la religion eût grand’chose à gagner dans cette déclaration d’impuissance que Pascal renouvelle à chaque page. Qu’on se place au point de vue catholique ou au point de vue philosophique, affirmer l’impuissance de la raison à établir l’existence de Dieu ne sera jamais un moyen efficace de relever la foi. C’est une triste manière de la recommander que de la déclarer incompatible avec le libre développement de la raison.

Malheureusement le programme tracé par M. Cousin n’a pas été suivi avec tout le discernement qu’exigeait une tâche si délicate. M. Sainte-Beuve a eu raison tout en consultant l’édition donnée par M. Faugère, de ne pas l’accepter comme définitive ; la transcription littérale du manuscrit, excellente en elle-même, ne présente pas toujours un sens parfaitement clair : les ratures obscurcissent parfois la pensée de l’auteur, et, pour la dévoiler pleinement, il serait souvent utile d’ajouter a la dernière leçon la leçon précédente, à laquelle l’auteur a renoncé. Il ne faut pas oublier que les Pensées sont plutôt des notes amassées pour une œuvre future qu’une œuvre proprement dite. Plus d’une fois Pascal, en effaçant une phrase, ne l’a pas remplacée par une phrase meilleure : il y aurait donc avantage, dans plus d’une occasion, à nous donner la première au lieu de la seconde. En un mot, il faudrait faire sur Pascal un travail analogue à celui d’Orelli sur les œuvres d’Horace. La lecture attentive du manuscrit autographe ne suffit pas ; puisque ce manuscrit présente plusieurs leçons, il importe de faire un choix. M. Sainte-Beuve a très bien compris ce qui manque à l’édition de M. Faugère, et je m’associe sans réserve au jugement qu’il en a porté ; je regrette seulement qu’il n’ait pas toujours évité la faute qu’il