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très réelles, de profondes variétés, qui agissent sur la condition morale comme sur le développement intellectuel des travailleurs.

Une première distinction doit être faite ici entre les cités du littoral maritime et les villes manufacturières de l’intérieur. Ces dernières ont infiniment plus accessibles au mouvement des idées bonnes ou mauvaises, vraies ou fausses, qui peuvent agiter une époque. Dans les ports, l’intérêt commercial domine les autres ; on est négociant avant tout. Entendue dans un sens légitime, l’idée du lucre y entraîne les imaginations. Le commerçant ne vit pas seulement dans le pays qui l’a vu naître, il disperse son existence sur tous les coins du monde où il a des intérêts. On dirait que le sol tient moins ici qu’ailleurs à la plante des pieds ; les pensées comme les intérêts y sont naturellement cosmopolite. C’est le vieil esprit de Tyr et de Carthage toujours subsistant à travers les siècles. Je ne prétends pas dire que le terrain soit rebelle aux sentimens généreux, aux nobles inspirations ; mais enfin, entraînées incessamment sur les mers à la suite du négoce, les ames y sont moins faciles à se laisser emporter sur l’océan des idées. C’est dans les districts manufacturiers qu’éclate surtout le mouvement dont nous voulons étudier la portée et la profondeur. Sous ce rapport, la zone septentrionale de la France se place au premier rang ; elle peut être scindée en deux parties : la région flamande et la région normande. La première comprend, outre la Flandre proprement dite, les anciennes provinces de l’Artois et de la Picardie ; on doit y rattacher encore, à cause du rapprochement géographique, deux annexes importantes : la fabrique de Saint-Quentin et celle de Sedan. La seconde division embrasse toute la riche et industrieuse Normandie.

La contrée flamande, la seule qui nous occupera aujourd’hui, s’étend des frontières de la Belgique à l’embouchure de la Somme et englobe avec ses annexes, cinq départemens. Quelques détails de statistique matérielle sont ici indispensables pour faciliter l’intelligence de la situation morale. Dans cette Revue même, nous avons eu l’occasion d’apprécier l’importance relative des différentes zones de la France en ce qui concerne la richesse manufacturière[1] ; nous sommes placé aujourd’hui au point de vue du régime des diverses industries et de l’influence que chacune peut avoir sur la condition intellectuelle des travailleurs. La région flamande est la partie de la France où la grande fabrication manufacturière s’exerçant dans de vastes ateliers est le plus répandue. Les ouvriers étant sans cesse rapprochés les uns des autres, et pour ainsi dire enrégimentés, se communiquent plus aisément leurs idées et leurs impressions. Les industries de la laine, du coton et du lin y occupent infiniment plus de bras que toutes les autres. La

  1. Voyez la livraison du 15 juin 1849, de l’Industrie française depuis la révolution de février.