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Les sociétés de secours mutuels, nées des sentimens les plus instinctifs de la population, existaient à Lille bien long-temps avant qu’on y eût entendu parler de socialisme. Quelques statuts encore en vigueur attestent une durée de trois siècles. À l’origine, l’intention religieuse s’y mêlait étroitement. Un grand nombre de ces associations portent encore le nom d’un saint, et plusieurs conservent en tête de leur charte ces mots : A la plus grande gloire de Dieu et du glorieux saint N… Ces sociétés sont de deux sortes : les unes réunissent tous les ouvriers d’un même établissement, sans distinction d’âge ni de sexe, et leurs statuts, font partie intégrante du règlement de la fabrique. Les autres se composent d’ouvriers de toute profession et de tout atelier. Tandis que celles-là sont obligatoires, celles-ci restent facultatives. Les premières, qui sont d’une création plus récente et taillées sur le même modèle, ont pour aliment, outre les cotisations hebdomadaires de leurs membres, le produit des retenues ou amendes de toute nature payées dans l’atelier. Avant 1848, les amendes encourues, par exemple, pour absence ou retard profitaient au chef de l’établissement, par cette raison que les frais généraux marchant toujours, il y avait pour lui une perte évidente. Ce raisonnement était juste, et cependant on était choqué de voir le patron s’adjuger cette indemnité prélevée sur le salaire de l’ouvrier ; il en était de même des retenues pour mauvais ouvrage qui exposaient sans cesse à d’injurieux soupçons la bonne foi des chefs d’établissement. Le mode actuel de pénalité, en donnant au patron une position plus haute, est infiniment plus propre à maintenir la bonne harmonie entre les divers intérêts engagés dans la production.

Les sociétés de la seconde catégorie ont seulement pour ressource la mise volontaire de chaque associé, fixée à 20 ou 25 centimes par semaine, et qui est perçue à domicile par un receveur désigné quelquefois aussi dans les vieux règlemens sous le nom de clerc ou de valet. Ressort principal de l’association, le receveur touche sur le montant des cotisations une remise qui peut être évaluée à 10 pour cent de la recette totale. Certains statuts, qui portent le cachet de leur temps, lui allouent une ou deux paires de souliers ou une seule paire et un ressemelage. Un même receveur peut desservir plusieurs sociétés. Un ouvrier n’est admis à faire partie que d’une seule en dehors de celle de l’établissement même où il travaille.

Les sociétés mutuelles de Lille ont ce caractère singulier, qu’elles sont formées à la fois pour l’assistance et pour le plaisir. Autre trait qui les distingue : elles ne durent qu’une année et recommencent ensuite un cours tout nouveau. Voici comment on procède : un sociétaire tombe-t-il malade, on lui paie sous des conditions déterminées une indemnité de 5 à 6 francs par semaine, indemnité qui diminue et s’éteint ensuite complètement au bout d’un certain temps. Puis au