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la relevions pas. La plupart des conseils révisionistes, nous dit-on, ne parlent point de proroger les pouvoirs présidentiels. Nous le pensons bien : qu’auraient-ils besoin d’en parler ? Est-ce qu’au temps où la France, loyalement interrogée, répondra par l’envoi d’une nouvelle constituante, celle-ci ne sera pas toujours à même de constater à son gré la véritable intention du pays ? De quel droit voudrait-on se substituer au pays dans le moment où on l’invoque ? mais comment ceux qui triomphent si légèrement de voir la majorité des conseils s’en tenir ainsi à demander la révision pour elle-même, oublient-ils déjà qu’ils ont accusé les quinze cent mille pétitionnaires de n’avoir été que des instrumens de l’autorité administrative, qui à les en croire, réclamait par leur intermédiaire la révision pour la prorogation ? Oui, c’est bien là ce qui constitue l’authenticité, la gravité de ce mouvement si caractéristique : c’est que par sa masse et par sa profondeur il est nécessairement en dehors de toute influence politique il n’est point déterminé par une pression extérieure : il part du sein de la nation, et il poussés tout devant lui, non pas seulement les conseils-généraux, qui ne font que suivre et communiquer une impulsion venue de plus loin, mais le gouvernement ; mais le parlement lui-même.

Voici l’objection : les conseils-généraux prêchent et soutiennent l’illégalité ! Suivez ce raisonnement : 278 voir, minorité légalement maîtresse, ont décide à une première épreuve que la révision ne passerait point, malgré la volonté contraire exprimée par 446 voix, majorité légalement impuissante, donc les conseils-généraux qui s’associent au vote des 446 sont, comme les 446 eux-mêmes, coupables du crime de lèse-constitution, plus coupables encore, car ils persévèrent dans l’hérésie après qu’on l’a surprise et dénoncée ; ils sont hérétiques convaincus et relaps. Il y a mieux : c’est trop de 278 voix, c’est plus qu’il ne faut pour empêcher toute réforme dans cette constitution dont les plus ardens prosélytes disent si peu de bien ; la résistance n’est point encore assez piquante lorsqu’on est si fort en nombre : le beau de la situation, le moment dramatique, la jouissance dans le triomphe, ce serait de tomber au plus bas chiffre possible, de n’être plus que 188 Spartiates au défilé de ces Thermopyles, de narguer, avec ce nombre strictement suffisant pour les défendre, la France entière, qui voudrait les franchir, et s’arrêterait comme un seul homme par respect pour une loi si médiocrement aimée. Eh bien ! ces 188 champions, on est sûr de les rencontrer toujours à leur poste ; ils ont juré d’y mourir. C’est donc folie de revenir à la charge, ou plutôt c’est une adhésion explicite donnée d’avance aux tentatives d’usurpation et de coup d’état. Nous savons en effet un honnête homme qui se le tient pour dit, et qui, le lendemain du jour où, dans la sincérité de sa conscience, il avait voté pour la révision, s’est empressé de demander pardon de la liberté grande à ses hauts et puissans amis anti-révisionistes, protestant qu’il avait pris cette liberté pour une fois seulement, et qu’il n’y reviendrait pas.

Nous ne voyons pas en vérité de motif à ce repentir ; nous sommes uniquement émerveillés d’une des contradictions les plus bizarres que le jeu des circonstances et des passions amène parmi tant d’autres inconséquences. Il se trouverait en effet, si l’on s’en rapportait à ces grands champions de la légalité, que la poursuite de la révision, qui est légalement autorisée par la charte même qu’ils protégent, serait cependant le droit chemin de toutes les