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c’est qu’un peuple ne fait point impunément de son ame le réceptacle de toutes les contestations sur les devoirs les plus simples. Il est évident aujourd’hui pour nous que tout ce qu’on ôte de force à l’autorité ne profite pas nécessairement à la liberté, que tout ce qu’on enlève de respect à la loi divine ne tourne point à l’honneur de l’indépendance de la pensée humaine, qu’une révolution est un châtiment, et non un acte viril d’émancipation. Une chose surtout nous est apparue dans ces crises gigantesques : c’est la puissance bienfaisante de la règle. Supprimez la règle, vous aurez dans l’ordre politique ces catastrophes qui ont deux fois fait frissonner la France, — dans l’ordre intellectuel ce hideux dévergondage où s’est amorti et consumé notre génie, — dans l’ordre privé ces existences flétries et hasardeuses sur lesquelles se projettent parfois des lueurs sinistres. Ce que peut la règle, ne fût-ce que sous ce dernier rapport, voyez-le par cette mâle, et simple vie de M. de Maistre. C’est l’heure ou jamais de faire appel à ces leçons, et d’en tirer un principe pratique de conduite. Les momens de liberté morale accordés à un peuple entre deux révolutions sont courts. Peut-être sommes-nous encore dans une de ces trêves qui précèdent la réalisation de ces paroles de Bossuet : « Quand Dieu veut faire voir qu’un ouvrage est tout de sa main, il réduit tout à l’impuissance et au désespoir ; puis il agit. » Jamais ces paroles n’ont reçu de plus éclatantes confirmations que de nos jours ; mais souvenons-nous aussi que l’homme peut avoir sa place dans les conseils de la Providence autrement que par l’impuissance et le désespoir.


CH. DE MAZADE.


Les journaux ont appris à la plupart de nos lecteurs la mort déplorable de M. Alexis de Valon, un des collaborateurs les plus actifs de la Revue. Le 20 de ce mois, il s’amusait à conduire un canot à voile sur un petit lac, à quelque distance du château de Saint-Priest, qu’il habitait pendant l’été. Avec lui se trouvaient un de ses amis et deux dames de sa famille. Ce lieu est désert et l’habitation la plus rapprochée est à un quart de lieue. Le vent soufflait avec violence, et les dames voyaient avec inquiétude le bateau s’incliner. Pour les rassurer, M. de Valon leur racontait que, quelques mois auparavant, par un vent aussi fort, il avait essayé avec son frère de faire chavirer la même barque, mais que tous ses efforts avaient été inutiles. En parlant ainsi on virait de bord, et le canot chavira. Des quatre personnes qui le montaient trois parvinrent à gagner le rivage ; mais M. de Valon avait disparu. Il était excellent nageur, et, dans le premier moment de confusion, c’était à lui moins qu’à tout autre qu’on aurait pensé à porter secours. Quelques minutes de mortelle anxiété se passèrent avant qu’on pût le découvrir. On le trouva enfin, mais déjà sans vie.

M. de Valon n’avait que vingt-huit ans. Riche, marié depuis peu, doué d’un caractère heureux et charmant, personne n’avait plus de motifs pour aimer la vie, surtout dans le moment où il l’a perdue. Il était entouré de presque tous les membres de sa famille attachés à lui par la plus intime affection. Cette réunion, si difficile dans une famille nombreuse, ne datait que depuis quelques jours ; c’était pour ses funérailles qu’on s’était ainsi rassemblé.

Les lecteurs de la Revue n’ont publié les premiers essais de M. de Valon, publiés dans ce recueil à la suite d’un voyage en Espagne et en Orient. Plusieurs nouvelles intéressantes, un travail très remarquable sur le système des