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l’offense comme encore aggravée par des éloges qui avaient été donnés à lord Mansfield, contre lequel il s’emporta amèrement. Ce ton, qui était exactement celui de Junius sur les deux sujets, fut fort remarqué dans le temps. »

Cependant la preuve invoquée par lord Brougham avait tourné contre lui. Sir Philip Francis, en mourant (1818), n’a pas laissé de testament au public. Il n’a point fait le signe attendu, et peu à peu l’attention s’est distraite, la croyance s’est affaiblie. La foi même de lord Brougham semblait un peu altérée quand il réimprimait ses articles dans son recueil d’esquisses historiques des hommes d’état du règne de George III. On entrevoyait son étonnement qu’aucun témoignage irréfragable ne fût venu confirmer son opinion. Une preuve entre autres long-temps espérée était encore avenir, et elle ne se produira peut-être jamais. Au moment où Junius fit publier la collection de ses lettres, il refusa toutes les offres de son imprimeur. Il ne voulut entendre parler d’aucun profit. Il demanda seulement trois exemplaires de son ouvrage, « deux couverts en papier bleu, et un relié en vélin et or, doré sur tranches, avec ce titre : Junius, I. II, le plus beau possible. C’est tout le droit d’auteur (fee) que je vous réclamerai jamais. » (17 décembre 1771.) Or, cet exemplaire vraiment historique, où est-il ? Il n’a été reconnu après quatre-vingts ans dans aucune vente de livres. Probablement il avait dû rester dans la bibliothèque de Junius lui-même. Celle de Francis a été vendue ; l’exemplaire révélateur n’a point figuré dans le catalogue, parmi plusieurs éditions de Junius, annotées même de la main du propriétaire, qui traitait ainsi tous ses livres. Il est d’ailleurs singulier que l’on n’ait pas recherché et publié ces notes.

La question n’avait pas, à notre avis, fait un pas, lorsque lord Campbell publia ses vies des chanceliers d’Angleterre, et, dans celle de lord Loughborough, qui, du temps qu’il s’appelait Wedderburn et qu’il était solliciteur général, a été, contre toute apparence, soupçonné des lettres de Junius, l’auteur est conduit à s’exprimer sur la question ; lui qui n’est pas souvent de l’avis de lord Brougham, il en est cette fois, et le confirme en rendant publique une lettre fort intéressante de lady Francis. La seconde femme de sir Philip, qui l’épousa, quoiqu’il fût septuagénaire (1811), paraît une personne spirituelle et distinguée. Dans sa lettre à lord Campbell, elle prétend que son mari était Junius. non qu’il le lui eût dit, mais elle le croit ; non qu’elle le sût, mais elle l’affirme. Le dernier éditeur, M. Wade, s’est adressé de nouveau à elle, et il a obtenu de nouveaux indices. Sir Philip Francis n’est jamais convenu avec personne qu’il fût Junius, mais il ne l’a jamais formellement nié. Il a laissé sa femme le croire, il souffrait qu’elle le lui dit, quoiqu’elle ne lui ait jamais adressé de question directe ni demandé