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secret ; il ne l’aurait pas trahi du moins par l’involontaire expression du mépris ! Cet attachement d’ailleurs que sir Philip, en effet, a constamment porté à la personne et à la politique de Chatham, Junius l’a-t-il montré dans ses lettres ? Bien loin de là, parmi celles qui lui ont été jusqu’ici attribuées, sous le titre de Miscellaneous letters, il en est où lord Chatham est vivement attaqué ; nous en avons analysé quelques-unes. Il faut donc retirer d’abord à Junius les lettres signées Poplicola, Anti-Sejanus, Downright, contre l’avis de Woodfall, de tous les éditeurs, de plus d’un commentateur. Nous avons bien nous-même des doutes sur l’authenticité de quelques lettres non contestées par M. Wade. Par exemple, il veut que la scène fictive où les ministres délibèrent sur les instructions de lord Townshend soit bien de sir Philip Francis ; or cette scène continue les plaisanteries d’une lettre de Corregio, où lord Chatham est tourné en ridicule, comme un infirme et un fou. Mais j’y consens, qu’on élague toutes les lettres où il est attaqué ; il resterait que Junius, dans celles qu’il signe, ne le loue que tardivement et comme à regret, et lorsque dans sa cinquante-quatrième lettre, le 13 août 1771, il se décide enfin, que dit-il ? qu’il doit rendre une signalée justice à un homme qui a, il le confesse, grandi dans son estime. Ce qui est plus significatif d’ailleurs que toutes les lettres publiées, dans un billet particulier et authentique, du 19 octobre 1770, Junius se plaint qu’on laisse passer comme de lui dans le journal des articles signés un Whig, où la politique de Chatham est préconisée, et il ajoute : « Je n’admire ni l’écrivain ni son idole. » Nous le demandons à M. Wade, est-ce Francis qui a écrit cela ?

Les éditeurs de la correspondance de Chatham sont venus fortifier de leur témoignage les suppositions de Taylor. Ils ont publié deux lettres inédites que Junius adressa secrètement à lord Chatham. Ils ont publié des spécimens d’écriture. Sur ce dernier point, remarquons d’abord que si Junius était Francis, c’est-à-dire l’ancien secrétaire du grand ministre, il n’a pu espérer que son écriture, qu’on trouve à peine altérée, ne serait pas reconnue ; il n’a pu lui écrire sous un pseudonyme. Et en même temps le seul fait de lui écrire ainsi prouve que Chatham n’était pas dans le secret. Que devient alors cette puissante alliance dont parle lady Francis ? Quant aux deux lettres en elles-mêmes, la seconde est bien authentique. Junius, qui la signe, le 14 janvier 1772, y joint Tes épreuves des deux lettres à lord Mansfield et à lord Camden qui terminent sa collection. Il voudrait, en les publiant, s’assurer de la plus haute des approbations. Ses billets à Woodfall s’accordent de tout point avec ce nouveau document, qui lui-même démontre que lord Chatham était étranger à Junius. Pour la première lettre, elle est du 2 janvier 1768, c’est-à-dire du temps où le nom de Junius n’avait pas encore paru. C’est tout simplement une lettre