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IX.

Nous ignorons quelle est la conviction du lecteur ; mais qu’il nous permette de poser en regard d’une première hypothèse un autre système qui, nous en faisons l’aveu, serait le nôtre, si nous nous attachions uniquement aux vraisemblances morales, et si nous osions préférer à toute autre la version la plus intéressante et la plus dramatique.

Dans un de ses billets à Woodfall, Junius lui dit, le 21 juillet 1769 : « Ce Swinney est un misérable, mais dangereux sot. Il a eu l’impudence d’aller trouver lord George Sackville, à qui il n’avait jamais parlé, et de lui demander s’il était ou non l’auteur de Junius. Prenez garde à lui. »

Ce Swinney était un poète obscur, dont Junius savait qu’il n’avait jamais parlé à lord George Sackville, et qu’il venait de lui faire tout récemment une indiscrète question. Junius est inquiet de sa curiosité ; il prend soin de prémunir contre toute enquête le seul homme qui sache quelque chose. Swinney voulait vérifier une supposition. Si cette supposition est fausse, pourquoi Junius en est-il si fort alarmé ? Craindrait-il qu’elle ne conduisît à quelque autre, ou plutôt serait-elle sur la voie de la vérité ? Dès-lors quelques-uns le croyaient ainsi. Ce fut l’avis de sir William Draper dès qu’il sut la dénégation formelle de Burke. Il est déjà remarquable qu’au milieu même du fracas produit par les mystérieuses lettres, un instinct trop singulier pour être insignifiant se soit porté sur le nom alors célèbre et compromis de lord George Sackville.

On a dit que l’imprimeur Woodfall, dans ses conversations, ne repoussait nullement cette idée, et si le docteur Good, qui écrivait sous les yeux de son fils, s’étend peu sur les droits de ce nouveau prétendant, il les combat légèrement après avoir signalé de fortes vraisemblances. On dirait qu’il croit un peu ce qu’il réfute. Dans le Royal Register de 1781. William Combe, connu sous le nom du docteur Syntax, disait, du vivant du noble lord, que les conjectures de beaucoup de politiques se dirigeaient sur lui. Long-temps après, les recherches de Taylor parurent ; mais elles ne convainquirent pas John Foster, qui se prononça pour lord Sackville, et en 1825, dans un ouvrage spécial imprimé chez Woodfall, M. George Coventry développa les mêmes conclusions, que reprit trois ans après un anonyme américain dans un Junius unmasked publié à Boston. Charles Butler, qui reste indécis, semble préférer à l’opinion de Taylor celle de Coventry, et nous trouvons celle-ci parfaitement développée dans l’histoire de Junius que M. John Jaques a donnée en 1843.