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courage quand il en peut montrer autant dans une situation pareille. Sans grand effort d’héroïsme, j’aurais, je crois, bien mieux aimé mener la cavalerie à la charge que d’aller à Whitehall pour y être déchiré comme il l’a été. Même, j’aurais cru ma vie moins en danger: mais c’est un homme extraordinaire, et, je vous le dis, nous entendrons encore parler de lui. » On lit dans une lettre de Gray le poète : « Que va-t-il faire de sa personne ? nul ne le prévoit. La contenance assurée, les regards de vengeance, de mépris et de supériorité qu’il jette sur ses accusateurs ont fait l’admiration de tout le monde ; mais il n’a pas montré son art et son talent ordinaires. En résumé, sa cause ne le soutenait pas. Vous penserez peut-être qu’il a l’intention de voyager et de cacher sa vie ; au contraire, tout le monde lui rend visite à l’occasion de sa condamnation. »

Cependant il ne s’en releva pas. Le peuple était contre lui, et regrettait qu’il n’eût pas le sort de l’amiral Byng. Le roi, qui avait pesé sur ses juges, confirma la sentence dans les termes les plus durs, la déclarant dans sa décision officielle pire que la mort pour tout homme doué de quelque sentiment d’honneur. Il distribua à ses rivaux ses nombreux titres ou emplois, à Granby, à Townshend, au duc de Bedford, qui devint lieutenant-général, et le remplaça comme gardien suppléant du parc du Phénix à Dublin, une de ces sinécures fort appréciées, et qu’acceptaient les premiers ministres. Le roi choisit encore pour aide-de-camp le colonel Fitzroy, avança John Barrington, parent du secrétaire de la guerre ; enfin, non content de rayer le nom de Sackville de la liste du conseil privé, il lui interdit de paraître à la cour. Défense fut faite à la princesse de Galles, douairière, ainsi qu’à son fils, de le recevoir, et lord Bute, qui passait pour son ami, lui ferma Carlton-House, où il était reçu jusqu’alors dans une sorte d’intimité. L’année suivante, à l’avènement de George III, il crut pouvoir se présenter ; mais les ministres s’en indignèrent comme d’un manque de respect envers la mémoire du feu roi, et ce même lord Bute, qui d’abord l’avait admis, fut chargé de lui signifier son exclusion. En 1765, on parut se relâcher de cette rigueur : il rentra au conseil privé, il fut un des vice-trésoriers de l’Irlande ; mais, l’année d’après, un nouveau ministère le dépouilla encore de ces titres. Ainsi, pendant long-temps, le souvenir de son fatal procès le retint dans l’isolement et dans l’obscurité, et semblait, comme un fantôme, se dresser devant lui et l’arrêter toutes les fois qu’il essayait de refaire quelques pas dans la carrière politique. Pendant ses cinq premières années de retraite, on dit qu’il se livra tout entier à la culture des lettres, et développa par l’étude les rares talens qu’il tenait de la nature et de l’éducation. Cependant il était demeuré membre des communes, mais il figurait peu à la chambre. C’est en 1766, sous le ministère du duc de Grafton, qu’après