Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1031

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de distinction, de supériorité sociale et les conséquences qui s’en déduisent ; nous ne savons pas quel signe spécial d’aristocratie il y a à être blanc, ni même à être libre, depuis que la civilisation a effacé toute trace de servitude personnelle parmi nous. Dans les pays à esclaves, être blanc et être libre constitue déjà un caractère aristocratique indépendamment de la naissance et de la fortune ; il s’opère dans les esprits une alliance singulière entre l’idée du travail et l’esclavage noir ; le travail matériel subit un avilissement dont les mœurs donnent la mesure ; il s’empreint d’une couleur servile à tous les yeux. Ce n’est pas seulement le descendant de quelque famille de la conquête, l’homme de sang bleu, — sangre azul, — qui reste dans sa sphère de jouissances luxueuses et inoccupées ; le pauvre, dès qu’il peut, achète un esclave pour se soustraire le plus possible aux rigueurs d’une condition laborieuse. Ce guajiro dont nous dépeignions la vie et les coutumes, emporté dans le tourbillon de son existence aventureuse et étrange, a des noirs dans sa maison et les occupe aux travaux les plus grossiers. Un jour, il y a peu d’années encore, un habitant de Cuba publia dans un journal un appel à quelques laboureurs de la métropole en leur offrant des conditions avantageuses et des moyens de fortune par la culture de la canne ; cet appel provoqua immédiatement la plus singulière des réclamations d’un honnête Castillan, qui y voyait une insigne injure et ne concevait pas qu’on pût proposer à des Espagnols de vieille souche de venir s’assimiler à des nègres. Le vrai fils du pays, à Cuba, répugne essentiellement à tout travail qui porte un certain caractère de dépendance ; il ne se plie point à la domesticité, de tout temps laissée aux isteños ou habitans des Canaries, dont l’émigration se renouvelle chaque année dans l’île. Le noir lui-même, enfin, arrivé à la liberté, met ses premières ressources à acquérir des esclaves, — et alors, malheur au noir esclave d’un noir ! c’est le pire destin qui puisse échoir à une créature humaine. De toutes parts ainsi, à l’état libre comme à la couleur blanche, s’attache d’une manière permanente l’idée d’une vie sans effort et sans labeur. De ces tendances il résulte dans les mœurs cubanaises un cachet particulier d’indépendance, d’indolence et d’imprévoyant abandon. — Légère, impressionnable, prompte à s’émouvoir de ses périls intérieurs, et plus prompte encore à les oublier, amoureuse de la vie facile, imbue de l’orgueil de caste, travaillée d’élémens hostiles sans cesse en fermentation et d’instincts ardens que viennent enflammer les excitations et les exemples du dehors, — il ne faut pas s’étonner que cette société frémisse et crie parfois quand elle sent une main vigoureuse et rude qui vient discipliner son incohérence brillante. L’un des gouverneurs espagnols de ces derniers temps, le général Tacou, est resté dans le souvenir de Cuba comme le type de ces pouvoirs durs et