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brodent sur ce fond historique tous les caprices d’une invention sans précision et sans profondeur. Leurs essais ne sont point totalement dépourvus d’habileté littéraire; ils manquent d’une force propre, d’originalité et de caractère. Une certaine originalité ne se retrouve que dans quelques binettes comiques, telles que la Volante, parce que ces petites comédies reposent sur l’observation de quelque détail local. Qu’est-ce que la volante? dira-t-on. La volante occupe une grande place dans l’existence havanaise, dans un monde où les femmes ne marchent pas, et souffriraient presque de fouler le sol du pied. C’est une voiture, gracieuse dans sa forme bizarre, où se passe la moitié de la vie d’une Cubanaise, soit qu’elle aille le jour visiter ses connaissances, parcourir les magasins, soit qu’elle aille le soir au paseo ou sur le bord de la mer respirer l’air frais et enivrant. La volante est le rêve universel des femmes de la Havane, la compagne de tous les instans; c’est mieux encore : c’est une confidente. Que de secrets ne garde-t-elle point? Combien d’entretiens ardens, d’échanges passionnés de regards, de querelles ou d’explications mystérieuses n’a-t-elle point protégés? Que de récits elle pourrait faire si elle parlait! C’est avec cette donnée légère et toute locale que l’auteur, don Juan Cobo, a écrit quelques scènes rapides et vives qui rappellent Breton de los Herreros. Milanès a essayé aussi quelques esquisses de ce genre dans le Spectateur cubanais; mais il n’y a là évidemment nulle puissance réelle d’observation.

Jusqu’ici le théâtre ne sert que faiblement à éclairer les mœurs de Cuba. On ne saurait voir dans les essais tentés journellement par des esprits inexpérimentés une représentation de la vie sociale de ce petit pays. Cette vie sociale avec ses tendances, son travail secret, ses types originaux, ses mille nuances caractéristiques, apparaît infiniment mieux dans les pages d’écrivains de mœurs, tels que Cirillo Villaverde ou Cardenas y Rodriguez. Ce dernier a écrit une série d’esquisses de la vie cubanaise sous le pseudonyme de Jeremias de Docaransa. Cardenas n’est point un esprit vulgaire, s’il n’a aucune des qualités puissantes des grands peintres de mœurs. C’est un observateur ingénieux et fin, d’une sagacité piquante, qui promène un ferme et satirique regard sur le monde où il vit, et en ressaisit les plus subtiles nuances. Le mouvement intime, frivole, inoccupé de la vie cubanaise ne lui échappe pas, et se ranime sous sa plume. Il y a dans les pages de l’écrivain havanais des physionomies qui doivent être vraies, des ridicules habilement surpris et personnifiés, mille riens qui occupent infailliblement une grande place dans une société légère de sa nature, et qui sont spirituellement mis en relief. Les esquisses de Cardenas ne peuvent avoir évidemment dans l’état actuel qu’une portée restreinte. Cependant un sens sérieux et politique se dégage sans effort de certains morceaux comme celui qui porte ce titre : Educado fuera. Quand