Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1043

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

limiers sont lancés; nul ne connaît le but de leur course ardente. Le chef seul sait quelle est la peuplade qu’il a vouée à la ruine, au massacre et à l’esclavage. La bande des noirs chasseurs court en silence. Il est nuit, et elle semble se diriger d’abord vers un point opposé au véritable but de son expédition, mais bientôt elle revient sur ses pas, et, au lever du jour, ces démons fondent sur une contrée paisible et surprise. Les habitans inoffensifs tombent, au sortir de leurs demeures, sous les coups de la phalange impitoyable. Les vieillards, on les tue; les femmes, on les éventre; les enfans à la mamelle, on les écrase sur la pierre. Les jeunes hommes et les jeunes filles sont saisis, garrottés et réservés, les uns pour la traite, les autres pour les sacrifices humains. L’incendie complète cette œuvre de destruction, et quand la nuée dévastatrice a passé, quand l’armée s’est retirée, emportant les produits de sa rapine, traînant à sa suite une population enchaînée et montrant avec une volupté féroce un hideux trophée de têtes tranchées par centaines, on dirait que la main de la colère céleste s’est appesantie sur la contrée : les champs sont déserts, les récoltes détruites, les maisons renversées. La vigoureuse végétation du pays envahit bientôt l’emplacement des villes, qui deviennent des repaires d’animaux sauvages, après avoir été des centres de l’industrie africaine, des foyers de sociétés et de civilisation naissantes, des asiles où vivaient souvent d’innocentes familles, cultivant ces sentimens d’affection mutuelle que Dieu n’a pas refusés à l’homme même plongé dans les ténèbres de la barbarie.

Tels sont les crimes de la traite. Ce commerce inhumain a trois phases : la razzia, l’achat des prisonniers, l’embarquement et la traversée des esclaves. La razzia, c’est le chef africain qui en est chargé; l’achat des prisonniers se fait par les traitans, généralement européens, établis sur la côte ; l’embarquement et la traversée sont l’œuvre réservée aux capitaines négriers. Le roi du Dahomey est à la fois chasseur d’esclaves et associé des principaux traitans. C’est donc dans le royaume de ce chef barbare qu’on peut observer sur son plus curieux théâtre la partie purement africaine des opérations de la traite. Fort heureusement le pays du roi Guezo n’est plus pour l’Europe un monde tout-à-fait inconnu, et quelques relations récentes y guideront nos pas.


I.

En 1850, le gouvernement anglais chargeait M. le commandant Forbes de négocier avec le roi Guezo un traité pour l’abolition du trafic des esclaves. Plusieurs envoyés, qui avaient précédé M. Forbes. n’avaient obtenu aucun succès. L’Angleterre avait successivement adresse à Guezo M. Winnietts, dont le rapport se trouve consigné dans les