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richement récompensés. On respecte les vautours à cause de leur utilité, et, tout le long du jour, le voyageur les aperçoit perchés sur quelques branches aux environs des temples, et digérant dans un lourd sommeil la chair putréfiée dont ils sont gorgés.


II.

Après avoir cheminé quelque temps au milieu de ce charnier aérien, ou arrive à la ville d’Abomey. Elle a huit milles de circonférence; elle est entourée d’un fossé de cinq pieds de profondeur d’où s’élèvent les tiges d’acacias épineux, seule fortification de cette cité guerrière. On y pénètre par six entrées, qui sont de simples murs d’argile élevés à travers la route et percés de deux portes, dont l’une est exclusivement réservée pour le passage du roi. Les véritables armes du royaume, des crânes d’hommes décapités, forment la décoration de ces portes, et tout auprès l’on voit des piles de squelettes humains et des ossemens de tous les animaux connus, y compris ceux de l’éléphant. Ainsi les voyageurs ne sont pas pris par surprise, et tout d’abord ils ont un avant-goût des scènes de meurtre auxquelles ils vont assister.

Au centre de la cité s’élèvent les palais adjacens de Dange-lah-Cordeh et d’Agrim-Gomeh. C’est autour de ces habitations royales que les ministres du souverain et les chefs influens de l’armée font bâtir leurs demeures. Ces constructions sont toutes exécutées d’après le même plan, et diffèrent seulement par le nombre et la grandeur des huttes distribuées dans l’intérieur d’enceintes plus ou moins vastes. La ville entière est formée par des enclos autour desquels serpentent des sentiers dont le réseau est inextricable pour les étrangers. Les rares industries du pays sont exercées dans l’intérieur des enceintes, et leurs produits n’apparaissent que sur les marchés établis en différentes parties de la ville. La plus active de ces industries est celle des forgerons. Ce peuple, perverti par la traite, aime mieux battre le fer que planter le blé et voler son pain que le produire honnêtement. Abomey n’a, dans l’intérieur de ses murs, ni source ni rivières; l’eau qu’on y emploie provient d’étangs éloignés de plus d’une lieue. La boisson ordinaire est le rhum, et, dans les orgies sauvages auxquelles l’armée et le reste du peuple sont périodiquement conviés par les chefs, on mêle au sang humain, largement versé sur le seuil des palais, d’abondantes libations de cette liqueur. Pourtant l’ivrognerie est un vice assez rare parmi les habitans d’Abomey. Le souverain actuel a contribué à les en détourner par un exemple terrible. Il a pris au hasard un pauvre diable trop facile aux séductions de « la dive bouteille, » et pendant un assez long espace de temps il l’a tellement abreuvé de rhum, que le malheureux, dans un état d’ivresse permanent, hébété, amaigri, est devenu un