Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1060

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’horreur d’un tel spectacle à un de ces Anglais dont l’intraitable philanthropie est devenue célèbre sur la côte d’Afrique? C’est ce qu’il est impossible de savoir. Au temps du voyage de M. Bruë, la mort des victimes humaines était accompagnée de supplices. Les anciens rois arrachaient le nez, les oreilles à leurs prisonniers, et leur crevaient les yeux avant de leur faire la grâce d’un trépas souhaité. La croix, comme instrument de supplice, alternait avec le billot. M. Forbes n’a rien vu de semblable, et nous voudrions croire que Guezo a supprimé ces abominables pratiques. Quoi qu’il en soit, cet officier anglais a été spectateur de scènes telles qu’on frémit au seul exposé qu’il en fait, et qu’elles suffisent pour imprimer aux institutions du Dahomey le cachet de la plus atroce barbarie. Nous voulons parler d’une fête où des êtres humains sont offerts en holocauste à la férocité de leurs semblables. Il faut laisser la parole à M. Forbes; lui seul peut rendre l’impression terrible qu’il a ressentie.


« Au centre de la place du marché, dit-il, une plate-forme avait été construite à la hauteur de douze pieds; elle était entourée d’une balustrade. Le tout était couvert d’étoffes de diverses couleurs et surmonté d’une tente au-dessous de laquelle étaient déployés des parasols, des bannières aux mille devises, parmi lesquelles on distinguait plusieurs pavillons britanniques. Sur l’une des faces de la plate-forme, qui pouvait avoir cent pieds d’étendue, les victimes destinées au sacrifice de ce jour étaient liées dans des paniers et placées derrière une espèce de haie formée d’acacias épineux. Une foule compacte et nue remplissait la place entière, et la balustrade était protégée par un cordon de sentinelles. Au-delà des premiers rangs des spectateurs, on apercevait, dans toutes les directions des groupes réunis autour, les bannières et les parasols des différens ministres et cabocirs.

« La foule était composée des soldats du roi, de ses fières et de ses fils, et d’un certain nombre de cabocirs. Chacun d’eux portait à la ceinture un sac, et la solennité du jour devait commencer par une distribution publique des cadeaux que le roi faisait à ses troupes. Le roi nous avait précédés, et lorsqu’il s’était montré sur la plate-forme, vêtu d’une veste noire, coiffé d’un bonnet blanc, et les reins entourés d’un pagne, il avait été salué par les acclamations de tous les assistans. Ceux-ci formèrent tout aussitôt les rangs, et, portant leurs officiers sur les épaules, ils défilèrent trois fois autour de la place en passant devant Guezo, qui, après le troisième tour, les harangua pour leur faire sentir combien il serait inconvenant de tirer des coups de fusil pendant le reste de la cérémonie. A la suite de son discours, il leur jeta quelques cauris en manière d’essai, puis i! nous fit dire de venir le joindre.

« Nous montâmes sur la plate-forme, et nous y vîmes disposé en tas, ici des cauris, là des étoffes, plus loin des bouteilles de rhum et des rouleaux de tabac. Quand nous eûmes pris place sur des sièges à côté de Guezo, la distribution commença, le roi la fil en grande partie lui-même, se donnant beaucoup de mouvement pour jeter tour à tour des cauris, des étoffes et du tabac. Les cauris appartenaient sans conteste à ceux qui avaient la chance de les