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Celle-ci s’acharna sur ce tronc insensible, le mutila brutalement et finit par le jeter dans un fossé, nouvelles gémonies de cette Rome barbare, où les animaux de proie vinrent chercher la nourriture qui leur était préparée. Quand la troisième victime eut été immolée, le roi se retira, et les chefs continuèrent l’œuvre de sang que le souverain rougissait d’achever. »


III.

Depuis le départ de M. Forbes, l’armée de Guezo a essuyé une défaite signalée dans une attaque dirigée, au moins de mars 1851, contre la ville d’Abeo-Kutah, située sur la frontière orientale du Dahomey. Il y avait déjà plusieurs années que les amazones demandaient à leur souverain le sac de cette cité, et le commandant anglais avait été témoin des sollicitations impérieuses qu’elles avaient renouvelées en 1850 pendant une des solennités dont nous venons de parler. Or Abeo-Kutah est placée jusqu’à un certain point sous la protection anglaise. Cette ville commande l’embouchure d’une rivière qu’on suppose être un des affluens du Niger, et l’Angleterre, qui a depuis long-temps conçu la pensée de s’approprier la navigation de ce grand fleuve, surveille d’un œil jaloux toutes les entreprises qui, dans un intervalle de temps plus ou moins éloigné, auraient pour résultat de la gêner dans la possession de ce qu’elle convoite. Aussi faut-il lire l’ouvrage de M. Forbes pour voir avec quelle naïveté d’ambition cet officier conseille au ministre des colonies d’élever un fort aux environs d’Abeo-Kutah... dans le seul intérêt de la répression de la traite!

En attendant, la société des missions prépare les voies à l’envahissement médité ou du moins proposé. Ses agens, véritables pionniers de la politique anglaise, ont fixé leur résidence à Abeo-Kutah, et ils n’ont pas mis seulement des Bibles entre les mains de leurs disciples. Quand l’armée de Guezo a paru sous les murs d’Abeo-Kutah, elle a trouvé les habitans préparés à l’attaque, organisés pour la résistance, militairement postés sur les murailles, bien pourvus d’armes à feu et de cartouches. Elle a donc été battue, complètement battue. Certes, la civilisation et l’humanité triompheront de cette défaite, mais il serait superflu de dire que l’Angleterre y trouvera son compte.

On ne lira peut-être pas sans curiosité quelques passages d’une lettre écrite de la côte d’Afrique par un des missionnaires anglais témoins du combat, et qui nous a été communiquée. « Les Dahomans, dit ce missionnaire, M. Townsend, s’avançaient en masses compactes, chassant tout devant eux. Les Egbas, défenseurs et citoyens d’Abeo-Kutah, cherchèrent à les arrêter au passage de la rivière, mais ils ne purent tenir contre des forces tellement supérieures; ils firent retraite derrière les murailles. Les remparts étaient couverts par la foule des assiégés,