Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1068

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses compagnes pour la dévorer! » L’horreur de telles scènes est portée au comble, quand elles ont pour dénoûment le massacre de centaines d’esclaves. On les tue quelquefois pour éviter d’avoir à les nourrir : les traitans aiment mieux faire un tel coup d’éclat que de relâcher ces malheureux. C’est un argument qu’ils donnent aux défenseurs de la traite des noirs, à ceux qui disent que la surveillance exercée par les croisières multiplie les atrocités de ce trafic sans parvenir à le supprimer.

Il y a sur les côtes occidentales d’Afrique un certain nombre de vastes foyers de traite, et, s’il suffisait de les bloquer, la répression du commerce des esclaves serait aussi facile qu’efficace; mais les négriers ne sont pas assez simples pour embarquer toujours les esclaves sur ces points, où leurs manœuvres coupables seraient trop aisément découvertes. Dans toute l’étendue de cet immense littoral dont le développement est de plus de mille lieues, sont disséminées des factoreries secondaires, élevées au milieu d’épais fourrés. On n’y peut arriver que par des sentiers étroits, à peine visibles, connus des seuls traitans. Le chargement des négriers s’opère tantôt en un endroit, tantôt en un autre. Si l’un des bâtimens de guerre a été aperçu aux environs du lieu où devait d’abord se faire l’embarquement, on dirige les esclaves, par une marche nocturne, sur un autre barracon, où leur arrimage à bord du navire négrier s’effectue en trois ou quatre heures : c’est ainsi que la vigilance des croiseurs est souvent mise en défaut.

Bien des obstacles s’opposent encore, on le voit, à la suppression totale de la traite. Il y a cependant une conclusion consolante à tirer des relations de voyage que nous venons d’examiner, c’est qu’à côté de la guerre faite aux négriers par les croiseurs, d’autres mesures non moins efficaces peuvent amener plus rapidement peut-être l’extinction de cet affreux trafic, et parmi ces mesures la plus digne d’encouragemens est sans aucun doute le développement du commerce légitime sur la côte d’Afrique.


PAUL MERRUAU.