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établir que Mahomet n’était autre chose que « la petite corne du bouc qui figure au chapitre viii de Daniel, et que le pape était la grande corne. » M. Forster fondait sur cet ingénieux parallèle toute une philosophie de l’histoire : le pape représente la corruption occidentale du christianisme, et Mahomet la corruption orientale ; de là les ressemblances frappantes du mahométisme et du papisme !

Ce serait une curieuse histoire que celle des idées que les nations chrétiennes se sont faites de Mahomet, depuis les récits du faux Turpin sur l’idole d’or Mahom adorée à Cadix, et que Charlemagne n’osa détruire par crainte d’une légion de démons qui y était renfermée, jusqu’au jour où la critique lui a rendu, en un sens divers, il est vrai, mais très réel, son titre de prophète. La foi vierge de la première moitié du moyen-âge, qui n’eut sur les cultes étrangers au christianisme que les notions les plus vagues, se figurait Maphomet, Baphomet, Bafum[1], comme un faux dieu, à qui l’on offrait des sacrifices humains. Ce ne fut qu’au xiie siècle que Mahomet apparut comme un prophète, et que l’on songea sérieusement à dévoiler son imposture. Plus tard, au xvie et au xviie siècle, Bibliander, Hottinger, Maracci n’osèrent encore s’occuper du Coran que pour le réfuter. Prideaux, Bayle et Voltaire envisagèrent enfin Mahomet en historiens et non plus en controversistes ; mais le manque de documens authentiques les retint dans la discussion des fables puériles qui jusqu’alors avaient défrayé la curiosité du peuple et la colère des théologiens. L’honneur du premier essai d’une biographie de Mahomet d’après les sources orientales appartient à Gagnier. Ce savant fut amené par ses études à demander ses renseignemens à Aboulféda, et ce fut une bonne fortune. On peut douter que sa critique eût été assez délicate pour saisir l’immense différence qu’il faut faire, quant à la valeur historique, entre les récits des historiens arabes et les recueils de légendes écloses de l’imagination persane. Cette distinction capitale, que M. Caussin de Perceval seul a rigoureusement observée, est, à véritablement parler, le nœud de tous les problèmes relatifs à l’origine de l’islamisme. Composée d’après les récits arabes d’Ibn-Hischam et d’Aboulféda, la biographie de Mahomet est simple et naturelle, presque sans miracles. Composée d’après les auteurs turcs et persans, sa légende apparaît comme un amas ridicule de fables absurdes et du plus mauvais style. Bien que les traditions relatives à la vie de Mahomet n’aient commencé à être recueillies que sous les Abbassides, les rédacteurs de cette époque s’appuyaient déjà sur des sources écrites, dont les auteurs eux-mêmes remontaient, en citant leurs autorités, jusqu’aux compagnons du pro-

  1. De là bafumerie, mahomerie, momerie, pour désigner tous les cultes superstitieux et impurs.