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jamais franchement les allures d’un vrai croyant. Lors de sa première entrevue avec Mahomet, après la prise de la Mecque : « Eh bien ! Abou-Sofyan, lui dit Mahomet, confesses-tu maintenant qu’il n’y a d’autre dieu qu’Allah ? — Oui, répondit Abou-Sofyan. — Ne confesseras-tu pas aussi que je suis l’envoyé d’Allah ? — Pardonne à ma sincérité, reprit Abou-Sofyan, mais sur ce point je conserve encore quelques doutes. » Une foule de piquantes anecdotes témoignent du ton légèrement sceptique et railleur que ce personnage conserva toujours à l’égard de la foi nouvelle. Or une foule de Mecquois partageaient ces sentimens. Il y avait à la Mecque tout un parti d’hommes d’esprit, riches, nourris de l’ancienne poésie arabe, radicalement incrédules. Ces hommes avaient trop de bon goût et de finesse pour faire une bien vive opposition à la secte naissante ; ils embrassèrent l’islamisme, mais en conservant leurs habitudes et leurs allures profanes. C’est le parti des mounafikoun, ou faux musulmans, qui joue un si grand rôle dans le Coran. À la bataille de Honayn, où les musulmans furent mis en déroute, ils ne cachèrent pas leur joie maligne. « Par ma foi ! dit Calada, je crois que cette fois-ci Mahomet est à bout de sa magie. — Voyez-les donc, disait Abou-Sofyan, ils courront jusqu’à ce que la mer les arrête. » Mahomet savait fort bien à quoi s’en tenir sur leurs sentimens ; mais, en habile politique, il se contentait d’une soumission extérieure, et faisait même en sorte que dans le partage du butin ils fussent plus favorisés que les fidèles dont il était assuré.

Tout le premier siècle de l’islamisme ne fut qu’une lutte entre ces deux partis : d’un côté, le groupe fidèle des Mohadjir et des Ansâr ; de l’autre, le parti opposant représenté par la famille des Omeyyades ou d’Abou-Sofyan. Le parti des musulmans sincères avait toute sa force dans Omar ; mais, après l’assassinat de ce dernier, c’est-à-dire douze ans après la mort du prophète, le parti des opposans triomphe par l’élection d’Othman, Othman, le neveu du plus dangereux ennemi de Mahomet, d’Abou-Sofyan ! Tout le khalifat d’Othman fut une réaction contre les amis du prophète, qui se virent écartés des affaires et violemment persécutés. Dès-lors ils ne purent jamais reprendre le dessus. Les provinces ne pouvaient souffrir que la petite aristocratie des Mohadjir et des Ansâr, groupée à la Mecque et à Médine, s’arrogeât à elle seule le droit d’élire le khalife. Ali, le vrai représentant de la tradition primitive de l’islamisme, fut toute sa vie un homme impossible, et son élection ne fut jamais prise au sérieux dans les provinces. De toutes parts, on tendait la main à la famille Omeyyade, devenue syrienne d’habitudes et d’intérêts. Or, l’orthodoxie des Omeyyades fut toujours très suspecte. Ils buvaient du vin, pratiquaient des rites du paganisme, ne tenaient aucun compte de la tradition du prophète, des mœurs musulmanes et du caractère sacré des amis de Mahomet. De là l’étonnant spectacle que présente le premier siècle de l’hégire, tout