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succès. La jeune fille ne leva pas même les yeux, et répondit en frottant son linge avec plus d’ardeur : Je n’ai pas le temps d’écouter des bagatelles et de juger des différends.

— Qu’allons-nous devenir ? dit Annibal ; la discorde est parmi les hommes, et Vénus refuse de les mettre d’accord. Heureusement, je vois une divinité aux cheveux d’ébène qui sera peut-être moins cruelle, car elle porte dans ses grands yeux la sagesse de sainte Minerve, et je gage qu’elle saurait reconnaître à perte de vue un garçon bon à marier.

Bérénice interpellée tira incontinent de l’eau ses beaux bras couleur de cuivre, et regarda en souriant le muletier facétieux.

— Je vous mettrai d’accord, dit-elle, et il me faudra moins de temps qu’à sainte Minerve pour dire un Ave. Rangez-vous tous devant moi, et attendez un peu que je lise sur vos figures. Vous, seigneur muletier, vous offririez une botte de paille à votre fiancée ; sur une natte de jonc dormirait la femme du marchand d’huîtres ; le banc d’une barque est un lit dur pour l’épousée du pêcheur de dorades. Est-ce à l’ombre d’un chou que la femme du jardinier passera l’heure du repos ? Non, mes chers seigneurs ; celui qui est bon à marier, le voici, et, pour qu’on le distingue des autres, je le marque d’un signe particulier.

En parlant ainsi, Bérénice plongea sa main dans le bassin, et jeta de l’eau de savon au visage d’un garçon de dix-huit ans, construit comme l’Antinoüs. Toute la compagnie poussa un éclat de rire qui monta jusqu’aux oreilles des factionnaires du fort Saint-Elme.

— C’est Nino ! s’écrièrent les jeunes gens, c’est le petit Nino qui a remporté la victoire. Toujours les cartes, les dés et la bonne chance sont pour lui.

— Vite, demanda une laveuse, vite, seigneur muletier, dites-nous qui est don Nino. Quel âge a-t-il ? quel métier fait-il ? combien gagne-t-il à la journée ? qui sont ses pareils ? Voyons si Bérénice a bien choisi.

— Oh ! répondit Annibal, la signora Bérénice a plus de coup d’œil que l’ancienne sorcière de Cuma. Les parens de Nino sont de si grands personnages qu’on n’ose les nommer, et puisqu’il ne les connaît pas lui-même, pourquoi sa mère ne serait-elle pas une comtesse ? La madone des trovatelli n’ignore point que son père est un docteur, à moins qu’il ne soit colonel ou marchand de limonade. Ce mystère sera éclairci avant que Noël tombe le jour de saint Etienne. Le métier de Nino, c’est de courir comme un lièvre et de danser comme un chamois. Ce garçon-là n’a pas son pareil à trente lieues à la ronde pour casser des noisettes avec ses dents. Il gagne à la scoppa quand il abat un roi et que son adversaire n’a qu’un cavalier. Est-il un plus bel état sous le soleil ? Nino mange sur le marbre, comme un empereur, à l’heure où les carmes ou les franciscains font les distributions de soupes, et il dort dans une corbeille d’osier comme le chat d’un évêque. La monnaie