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d’autres titres pour gouverner son pays que son talent de poète, il serait probablement resté dans les rangs les plus obscurs de la foule d’écrivains célèbres qui vivaient alors. Les Burke et les Sheridan (aucun des deux n’a exercé le pouvoir, remarquez-le bien) ont toujours été des exceptions. Nous ne parlerons pas de l’époque dite de la reine Anne, où, grâce à la vivacité des passions politiques et religieuses et à un état de choses mal affermi, les hommes de lettres et les pamphlétaires arrivèrent au pouvoir : aussitôt que la société se fut assise, que le gouvernement eut été fondé d’une manière inébranlable. et ne fut plus mis en discussion, l’influence des écrivains disparut, et ceux-ci furent réduits à se venger de leurs mécomptes par des épigrammes, des comédies politiques et des satires contre Walpole et les autres membres du gouvernement. Les hommes de lettres, en Angleterre, ont donc toujours vécu dans leur sphère, séparés volontairement du monde, ne prenant part aux affaires publiques que par l’action purement morale et intellectuelle de leurs écrits. Ils avaient compris, avec ce bon sens qui distingue la nation anglaise, que c’était là la vraie fonction qu’ils avaient à exercer, et jamais il ne leur était arrivé de réclamer une participation plus pratique et plus directe aux affaires politiques. Ils se contentaient de l’action qu’ils exerçaient sur le monde des mœurs et des esprits. Les journalistes eux-mêmes, bien plus rapprochés que les poètes ou les philosophes du monde des affaires, n’essayaient pas d’usurper un plus grand pouvoir que celui qu’ils exerçaient; ils se contentaient de leur influence anonyme et de leur gloire obscure, se dévouant modestement à faire non leur renommée, mais celle de leur journal, non leur fortune, mais celle du ministre ou du chef de parti qui représentait leurs opinions. Ils n’étaient point d’ailleurs dans la confidence des ministres et du pouvoir, et, tout en prenant part au mouvement politique par leur profession, ils en étaient séparés; ils faisaient l’opinion publique et n’étaient point connus d’elle. Aujourd’hui cependant l’antique modestie s’effacer, tout cela change, et, du train dont vont les choses, peu d’années doivent suffire pour que le monde littéraire ait envahi le monde politique.

Cette ambition toute nouvelle se fait jour dans un livre récemment publié, et intitulé the Dreamer and the Worker (le Rêveur et le Travailleur). Dans sa préface, l’auteur nous indique quel est le but qu’il a poursuivi, et, en vérité, nous lui devons de la reconnaissance, car nous n’aurions jamais découvert dans ces deux volumes confus, mal conçus, incorrectement écrits, la pensée de l’écrivain, s’il n’eût daigné nous la révéler. M. Horne pense que les questions soulevées dans ces derniers temps au sujet des classes laborieuses ne peuvent être résolues que par la pensée, ou, pour mieux dire, par des hommes habitués à penser. L’action toute seule ne suffit pas, la méditation doit