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l’expression, noblesse de l’altitude, rien ne manque à ces glorieux fils d’Homère. La sobriété même de la couleur ajoute encore à la sérénité de la composition. Tous ces génies qui se pressent devant le trône du poète divin sont tellement supérieurs aux hommes que nous coudoyons chaque jour que nous ne cherchons pas dans leurs traits l’image fidèle de la réalité vivante. Nous regardons sans étonnement ces membres si purement dessinés que le sang ne colore pas. Placés dans la région réservée aux demi-dieux, ils ne vivent pas, ne respirent pas comme nous. Pourvu que leur visage exprime clairement le caractère des œuvres qu’ils nous ont laissées, nous demeurons satisfaits. Aussi l’Apothéose d’Homère a-t-elle réuni les suffrages de tous les juges compétens. Toutes les objections sont réduites à néant par la grandeur de la pensée, par la grandeur du style. L’auteur a tiré un excellent parti du sujet qu’il avait accepté. N’eût-il écrit que cette page, il serait sûr de garder long-temps un rang glorieux.

La Stratonice est, à coup sûr, traitée avec une rare délicatesse. Tout le monde rend justice à la finesse des détails, à l’expression des physionomies. Le dirai-je pourtant ? cette composition si justement applaudie me paraît pécher par l’exagération des qualités les plus excellentes. Stratonice, si gracieusement drapée, détourne la tête avec autant de malice que de pudeur. Erasistrate, qui tâte le pouls du malade, regarde le fils et la femme du roi avec une attention très vraie sans doute, mais que le peintre aurait pu exprimer plus simplement. Quant au roi agenouillé devant le lit de son fils, sa pantomime a quelque chose de théâtral. Il y a dans sa douleur autant de pompe que d’énergie. Ainsi ces trois personnages, plus simplement conçus, seraient beaucoup plus vrais, et le défaut que je signale nous frappe d’autant plus vivement, qu’il se rencontre dans une scène empruntée à l’histoire de l’antiquité. Pour tous ceux qui ont vu les Noces aldobrandines et les peintures d’Herculanum et de Pompeï, il demeure prouvé que les peintres grecs, quelle que fût la nature des sujets, ne s’écartaient jamais de la simplicité. Lors même que nous n’aurions pas le témoignage de Pline, le musée de Naples suffirait pour établir victorieusement ce que j’avance. Je m’étonne que M. Ingres, qui a vécu si long-temps dans le commerce de l’antiquité, ait pu traiter le sujet de Stratonice dans un style si éloigné du style grec. Les détails de l’ameublement et de l’architecture, excellons en eux-mêmes, sont beaucoup trop multipliés, et détournent l’attention des personnages. Il faut être archéologue pour se complaire dans l’étude de ces détails : le goût le plus indulgent conseillait d’en sacrifier au moins la moitié.

Angélique et Roger, Françoise de Rimini, compositions pleines de grâce et d’énergie, attestent chez M. Ingres une souplesse de talent qui se prête à tous les genres. Je sais qu’on peut reprocher à Angélique