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peut-être vous tomberez aux pieds de votre Nino. Fureur d’amour s’envole pour un mot ou une caresse ; quand j’aurai fait ce que vous voulez, vous en aurez regret et me maudirez.

— Non, je le hais, vous dis-je. Il épouse Giovannina. Otez-le de ce monde, et je suis à vous.

— Tuer un homme est dangereux. Cela sent les menottes, l’habit jaune des galères et même le poteau fourchu.

— Un autre m’obéira ; j’aurais préféré que ce fût vous. Adieu !

— Attendez un moment, belle Bérénice ; je veux vous contenter. Il y a une fête demain à Fuori di Grotta, tout près du Vomero, et selon l’usage on y fera du bruit en tirant des coups de fusil. Chargez-vous d’y amener Nino. J’aurai ma carabine, et l’on sait bien qu’il arrive parfois dans les fêtes des accidens d’armes à feu. Mais, si les robes noires me poursuivent, me laisserez-vous fuir tout seul dans les Abruzzes ?

— Par le corps de ma mère, j’irai te rejoindre, car j’aurai aussi affaire avec les robes noires ! Celle qui m’a ravi mon amant ne périra que de ma main. Touche là, c’est convenu. Demain, à midi, cache-toi dans le sentier pierreux qui descend au Vomero ; tu y rencontreras Nino. Ne le manque pas ; le reste me regarde. Prends cette bague comme un gage de ma tendresse. Adieu ! que la madone des pêcheurs te protège et bénisse ma vengeance !

Ciccio erra long-temps comme une ame en peine sur le bord de la mer. Il se grattait le front et passait les mains dans ses cheveux crépus en marchant tantôt vite, et tantôt d’un pas solennel. À la fin, il contempla le gage d’amour de Bérénice avec un sourire astucieux : c’était une bague en plomb qui valait bien deux sous. La vue de ce bijou parut lui rendre son courage et sa résolution ; il rentra dans sa masure et décrocha de la muraille une vieille carabine rouillée. La noix et le ressort de cet ustensile étaient si usés, qu’on ne pouvait plus ni l’armer, ni le mettre en joue en l’appuyant sur l’épaule ; mais à la rigueur on pouvait encore s’en servir en soulevant le chien avec un doigt et en le laissant retomber. Au moyen de ce procédé, Ciccio brûla une amorce pour s’assurer que son arme n’était pas absolument hors de service. La flamme et l’odeur de la poudre éveillèrent sans doute sa férocité, car il s’écria d’un ton emphatique :

— Tu peux encore donner la mort, ô ma vieille amie ! non pas de loin, il est vrai, puisqu’on ne saurait ajuster un homme en te maniant ainsi ; mais celui qui veut tuer sûrement un rival abhorré ne doit lâcher son coup de feu qu’à bout portant. Terrible instrument de la vengeance de Bérénice, tu me procureras demain la plus belle maîtresse du monde ! La reine des laveuses du Vomero appartient à l’heureux, à l’intrépide pêcheur !