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homme tel que vous ne souffrira pas que je sois entièrement méconnu. Ou je serai moissonné bientôt, ou je laisserai dans vos mains de nobles élémens d’apologie. Certes, je compte dans leur nombre la sorte de divination qui vous a appelé à être mon ami, lorsque tant d’hommes vulgaires s’occupaient à faire écho contre moi ou essayaient de me garrotter sur leur mesure ; — mais passons aux affaires[1] ! » Je n’aime pas à prodiguer les grands mots ; mais je sens en lisant ces paroles je ne sais quel accent sublime et triste qui me touche et me pénètre. J’aime jusqu’à cette brusque interruption d’une grande ame qui s’arrache à sa profonde émotion et qui passe aux affaires, les affaires qui sont le vrai travail des hommes de cœur en temps de révolution, à condition cependant, que les ames associées dans de grands périls et pour de nobles espérances ; si elles renoncent à exprimer leurs émotions, ne renonceront pas à les sentir, et que les labeurs et les soucis communs occuperont leur esprit sans jamais dessécher leur cœur. Je ne crois pas à la sincérité des entreprises où il n’y a pas quelque grand sentiment en jeu, et non-seulement il faut que les entreprises aient un but élevé, je veux aussi qu’elles se fassent entre gens qui s’aiment l’un l’autre et qui aient plaisir à se serrer la main je dirais volontiers qu’il n’y a que les bonnes ames qui s’entendent à faire les grandes choses. Il y a de grandes intelligences qui ont le cœur égoïste ; celles-là, quoi qu’elles fassent, ne font jamais que de petites choses sous de grands noms. Mirabeau était assurément une grande intelligence ; mais de plus il y avait dans son ame un coin de bonté et de grandeur : la pureté lui manquait, mais non la chaleur. Mirabeau était fier, mais je croix qu’il n’était pas vain, et les.gens fiers ont cela de bon, qu’ils peuvent aimer les autres et s’y intéresser ; seulement ils aiment de haut. Ils peuvent aussi être aimés, seulement ils ne peuvent l’être que par les bonnes natures, par celles qui ne sont pas vaines et qui ne répugnent pas à la supériorité d’autrui.

Ce coin de bonté et de grandeur qu’avait Mirabeau était ce qui le faisait aimer de M. de La Marck et, ce qui lui attirait de généreuses affections. « Il faut, dit M. de La Marck, avoir connu Mirabeau dans le commerce le plus intime pour rendre justice à ses bonnes et nobles qualités et comprendre tout ce qu’il y avait en lui de séduction. Malgré la divergence de caractères et même d’opinions qui existait entre nous, je ne sais quel charme, pour ainsi dire involontaire, m’attirait vers lui ; c’est un pouvoir qu’il a exercé sur tous ceux qui l’ont connu particulièrement. Il emporta dans la tombe la consolation d’avoir eu beaucoup d’amis.. »

À prendre M. le comte de La Marck tel que MM. de Bacourt le dépeint

  1. Tome II, p. 110 et 111.